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Un enfant autiste se cache derrière une étoile le 30 mars 2010 à Amman. REUTERS/Ali Jarekji
Un enfant autiste se cache derrière une étoile le 30 mars 2010 à Amman. REUTERS/Ali Jarekji

L'autisme, une réalité mal comprise des Africains

La Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme est prévue le 2 avril. Ce rendez-vous vise à mieux informer sur les réalités de ce trouble du développement.

Contrairement aux idées reçues, l'autisme n'est pas une maladie mentale, mais une déficience. De même, on ne peut pas déceler l'autisme à travers une échographie comme c’est le cas pour la trisomie. L'autisme désigne, en réalité, l'un des «Troubles Envahissants du Développement» communément appelés TED. Ce symptôme ne se guérit pas. Néanmoins, plus la prise en charge est rapide, plus les troubles du comportement peuvent diminuer. En France, un enfant sur 100 est atteint de troubles autistiques.

Une étude d'Opinion Way de 2012 révèle qu'un médecin sur trois ne sait pas diagnostiquer l'autisme. De même, un médecin sur quatre assimile encore le handicap à une psychose, alors qu'elle est définit par la Haute autorité de santé comme un trouble neuro-développemental. Si la méconnaissance perdure en France, dans certaines régions d'Afrique, l'autisme est considéré comme une maladie liée au surnaturel, à l'ensorcellement, et les personnes atteintes se retrouvent dans des situations d'exclusion, voire en danger.

 Un syndrome jugé mystique

D'après l'OMS, des dizaines de millions de personnes sont atteintes d'autisme en Afrique. Une majorité de pays sur le continent n'ont pas de structures adaptées pour traiter le syndrome et la population n'est pas assez informée sur les soins.

L'anthropologue et psychanalyste Tobie Nathan révèle dans une de ses études, Les bébés parlent-ils le langage?, que des enfants ayant des troubles autistiques vivent un déni de leur pathologie. Par exemple, les Yoruba du Bénin les appelle les Akibus, qui signifie «naître et mourir». Ces enfants au regard absent sont soupçonnés de communiquer avec les esprits, et de vouloir nuire à leur famille. L'OMS alerte également sur le fait que trop d'enfants autistes en Afrique sont gardés au domicile sans soin.

Au Cameroun, des associations émergent et travaillent chacune à faire évoluer les choses. Chantal Biya, première dame du pays, et plusieurs ministres travaillent côte à côte pour la prévention et le suivi. Le nombre d'enfants autistes au Cameroun est estimé à 100.000, selon le professeur Paul Koki Ndombo, directeur du Centre mère et enfant de la Fondation Chantal-Biya.

«Il est important de sortir de l'errance du diagnostic», explique-t-il.

Le cas marocain

Au Maroc, les services de santé estiment que 60.000 personnes sont touchées par l'autisme. Or deux centres basés à Rabat et Casablanca ont fermé. Une antenne marocaine de l'association Vaincre l’autisme a réalisé une campagne en juin dernier sur le thème, «Sans diagnostic, on est encore plus autiste», et a déclaré 2013 l'Année de l'autisme au Maroc.

Dans ce pays du Maghreb, la scolarisation des enfants autistes dépend d'initiatives privées. Fatima, une Française d'origine marocaine, a rejoint sa mère à Casablanca faute de soutien et de place dans une structure adaptée en France. Sa famille marocaine parlait alors de mauvais œil. Son fils Assad, âgé de 3 ans, est traîné par sa grand-mère aux portes de tous les guérisseurs traditionnels de la ville. Le progrès n'est pas au rendez-vous. Il régresse, s'enfonce dans le mutisme, et le repli sur soi. Par chance, Fatima décroche un emploi aux Etats-Unis, et s'envole avec son fils.

«C'est le jour et la nuit, les résultats sont exceptionnels parce que, ici, on sait comment aborder ces enfants. Ils sont à la fois stimulés et traités comme les autres», se réjouit Fatima.

Aujourd'hui Assad âgé de huit ans parle et se développe presque normalement. Il fréquente un établissement spécialisé de New York.

Faire soigner son enfant à l'étranger

Aujourd'hui près de 5.000 handicapés mentaux enfants et adultes passent la frontière française pour suivre des traitements en Belgique. Pour ce faire, les familles doivent soit avoir les moyens soit redoubler d'efforts pour obtenir une prise en charge par le système de sécurité sociale français. Pour cela, elles doivent justifier d'une impossibilité de faire suivre leur enfant en métropole. Peïnda, mère célibataire d'origine congolaise, rêve de faire partir son enfant à l'étranger:

«Mon fils a été diagnostiqué autiste à l'âge de trois ans. Il évolue vraiment trop lentement alors qu'il a un fort potentiel. Dans son hôpital on le fait jouer et il a une séance d’orthophonie par semaine. C’est peu», confie-t-elle.

Son fils Noël prononce des mots occasionnellement. Il est habile, n’a pas le regard fuyant mais n’aime pas communiquer.

«Quand je demande à l'hôpital si mon fils va progresser, on me répond: "votre fils ne sera pas polytechnicien, c'est sûr, mais il aura sans doute un déclic pour revenir avec nous." Lorsque je demande quand viendra le déclic, on me répond: "ça peut arriver demain comme dans 20 ans"», explique Peïna, amère.

La méthode que convoite la trentenaire, c’est la méthode ABA. Elle existe depuis plus de quarante ans aux Etats-Unis. Cette approche comportementale est décriée en France car elle comparée au dressage d'animaux. En effet, l'enfant reçoit des indications et des exercices intensifs pour lui permettre de se détacher de ses comportements autistiques. Cette rude méthode stimule l'enfant. Il est obligé de remplir des objectifs avant d'avoir le repos. Il faut compter 3.000 euros par mois pour s'offrir des intervenants professionnels à domicile. Et rares sont les familles qui disposent d'une telle somme.

Le traitement n'est pas médicamenteux, les résultats ne sont donc pas garantis à 100%. La marge de progrès reste toutefois grande. Josué, originaire du Cameroun a bénéficié de ces soins. A 34 ans, il est aujourd'hui embauché dans la fonction publique comme travailleur handicapé.

«Mon frère a passé son adolescence dans un centre spécialisé en Belgique. Chaque mois, quand il rentrait, nous étions sidéré par l'évolution», raconte sa petite sœur Philomène.

Auguste, un adolescent de 15 ans, est, quant à lui, suivi dans une école publique d'Austin, au Texas, aux Etats-Unis.

«Je suis soulagée parce que, ici, il a des cours adaptés à son niveau, et il participe aux ateliers artistiques ou sportifs avec les enfants sans handicap. Cela lui permet un mimétisme constructif. Mon fils ne parlera peut-être jamais, mais il est capable d’être autonome sur biens des points. En France, nous avons perdu du temps», confie la mère béninoise.

Un combat inachevé

En Tunisie, le Centre Colombe pratique la méthode ABA. Mais, l'établissement manque de places pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses. D'autres ne veulent pas quitter leur pays pour soigner leur enfant.

«Pour moi c'est de la connerie d'aller à l'étranger pour faire soigner un autiste», affirme Sadio d'origine Malienne. Pour elle, il n'y a pas de miracle: «Un enfant avec de tels troubles a besoin d'amour et de l'attention de l'ensemble de ses proches. Jamais je n'aurais imaginé que mon frère puisse un jour être indépendant», ajoute l'aînée d'une famille de six enfants, dont le jeune frère a été diagnostiqué autiste alors qu'il avait trois ans.

La mère divorcée a dû élever seule la tribu. La jeune femme se souvient:  

«Ma mère n'acceptait pas l'autisme de mon frère et nous avons été soutenus par les services sociaux.»

Ainsi, toute la famille a consulté régulièrement un psychologue, alors que cela ne fait pas partie de leur culture.

«Voir un psychologue, parler de la maladie nous a permis d'accepter et de prendre conscience que nous devions être soudés.» A l'époque, Mady avait peur du bruit, bouchait ses oreilles ou poussait le visage, en ciblant la bouche des enfants qui hurlaient. Ils frappent des mains très fort, sans cesse, et bouge la tête de bas en haut. Convulsif. Toute la famille essayait alors de le traiter comme un enfant normal. Peu à peu, des mots sont apparus:  

«Il a dit Maman. Merci. Et ainsi de suite. Chaque mot prononcé était une victoire pour lui et pour nous, car ces mots s'accompagnaient de progrès dans son comportement», ajoute Sadio. Discret, Mady âgé aujourd'hui de 21 ans, n'a pas de séquelles apparentes. Fan de cinéma, son acteur préféré n’est autre que Dustin Hoffman, l’interprète de Ray Man, le plus célèbre autiste. 

L’autisme est le nouveau défi de santé publique. En France, l’accès à l’école voulu par la loi de 2005 ne fonctionne pas. 80% des enfants autistes ne sont pas scolarisés. Les autistes d’Afrique ont avant tout besoin de reconnaissance et de soutien.

Ekia Badou

 

Ekia Badou

Ekia Badou. Journaliste française.

Ses derniers articles: L'autisme, une réalité mal comprise des Africains  Les Nubians, Africaines dans l’âme et Américaines de cœur  Zang, ovni du théâtre français 

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