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L'Afrique du Sud au chevet de Mandela
Le «père de la nation arc-en-ciel» est hospitalisé depuis le 8 décembre 2012. L’Afrique du Sud se demande si elle va perdre le grand homme qui a réussi à réconcilier les blancs et noirs.
Mise à jour du 11 décembre 2012: L'ex-président sud-africain Nelson Mandela, âgé de 94 ans, a passé sa troisième nuit à l'hôpital militaire de Pretroria, où il a été hospitalisé le 8 décembre, pour subir une série d'examens. Aucune autre information n'a filtré sur la situation de Madiba, mais les autorités sud-africaines continuent de souligner que tout «va bien [et qu'] il n' y a pas de raison de s'inquiéter».
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«Si j’en parle, je vais commencer à trembler. Je ne préfère même pas y penser».
Cette journaliste sud-africaine fait le pied de grue, avec une cinquantaine d’autres collègues, devant l’hôpital de Milpark de Johannesburg (capitale économique de l’Afrique du Sud) où Nelson Mandela a été admis le 26 janvier.
A contre-coeur, elle attend toutes les informations qui pourraient filtrer à travers les grandes grilles.
Un policier, qui interdit toute entrée aux journalistes, fait des blagues pour passer le temps: «Allez, pour 10.000 Rands (1.000 euros), j’vous fais rentrer!» On aurait bien trop peur de répondre «Chiche», et de découvrir que ce n’était pas une plaisanterie…
«Alors, c’est vrai que Winnie est venue ce matin (son ex-femme)? Et la veuve de Walter Sisulu aussi (un ancien leader du parti de l’ANC, African National Congress et ami de Mandela)? Il parait qu’il va rester plusieurs jours…»
Les journalistes s’échangent leurs dernières infos, pour savoir si oui ou non Winnie Mandela s’est bien mouchée en sortant de sa visite à l’hôpital.
Ils nettoient pour la quinzième fois l’objectif géant de leur appareil photo ou règlent une fois de plus la mise au point de leur caméra. Les plus désespérés, pendus au téléphone, tentent vainement d’expliquer à leur rédacteur en chef pourquoi ils n’ont toujours pas d’image alors que ca fait bientôt huit heures qu’ils sont là. Sur la plage arrière d’une voiture, l’autobiographie de Mandela «Un long chemin vers la liberté» prend le soleil. A peine corné, le livre aura peut-être la chance d’être lu entre deux tasses de café sur le trottoir.
La pluie s’est dissipée, le soleil perce les nuages. Toujours rien. On scrute les voitures et leurs conducteurs qui s’engouffrent entre le portail. Surtout les BMW et les Audi. Ca doit être des gens importants. Personne. On apprend alors que des journalistes locaux demandent aux proches de l’ancien président de communiquer davantage. En citant divers experts en relations publiques, ils concluent:
«Le rôle d’un attaché de presse est de s’adresser aux journalistes. Nelson Mandela est une figure publique, nous devons être informés.»
Et si les Sud-africains ne souhaitaient rien savoir? Certes, l’hospitalisation de Tata Madiba (un nom affectif et respecteux qui rappelle son nom de clan) a fait la une de tous les journaux jeudi 27 janvier. Mais on ne peut pas dire que la conversation anime tous les piliers de comptoir. Personne n’est venu déposer des fleurs ou des messages d’encouragement devant la grille de l’hôpital. Seuls les enfants de l’école d’à côté ont fait quelques dessins pour lui souhaiter «un bon rétablissement». Après tout, le monde entier est devant leur fenêtre.
«Mais laissez donc le vieil homme tranquille!» C’est l’éternelle rengaine que l’on entend lorsqu'on pense apprendre la triste nouvelle à un Sud-africain. Bien sûr qu’il «a vu la nouvelle», bien sûr qu’il «a lu dans le journal que ce n’était qu’une visite de contrôle.» Bien sûr qu’il «n’y croit pas vraiment». «Mais, culturellement, parler de "ça", ça porte malheur. Vous attendez tous qu’il meurt, hein?»
C’est vrai, ça… qu’attendons-nous au juste devant cette grille d’hôpital? Connaître les détails de sa maladie pulmonaire? Savoir si Winnie a vraiment pleuré ou si n’était qu’un mauvais rhume? Pouvoir saisir l’image de la plaque d’immatriculation de l’ambulance qui le ramènera à la maison? Et encore, on ne serait pas sûr qu’il soit bien rétabli.
Il semblerait que de son côté, la population sud-africaine se prépare tout en douceur et tout en pudeur. Jeudi après-midi, l’archevêque Desmond Tutu mettait le pays face à sa triste réalité:
«Qu’est-ce qu’on peut vouloir de plus de Mandela? Il a fait un travail exceptionnel pour ce pays, et nous devrions remercier Dieu de nous l’avoir envoyé. Nous aimerions qu’il reste à jamais… Mais tout peut arriver.»
Il y a cinq ans, l’ombre de Mandela planait encore sur l’Afrique du Sud. Tous les politiciens, les célébrités, les businessmen se l’arrachaient pour savoir ce que «Tata» pensait de cette nouvelle loi ou de la dernière tendance mode. Une rumeur absurde avait fait le tour des boîtes mail de la communauté blanche: le jour de sa mort, tous les Noirs sortiraient leurs machettes pour perpétrer un génocide contre les Blancs.
Tout le monde se demandait comment la «Nation arc-en-ciel» pourrait s’en sortir sans son icône de la réconciliation. En juin 2004, Madiba a annoncé qu’il se retirait de la scène publique pour profiter de sa famille. Depuis, ses proches n’ont cessé de demander de ne plus le prendre à partie et ne plus l’appeler.
Visiblement, les pressions de la Fifa (Fédération internationale de Football Association) n’ont pas pesé bien lourd face aux menaces de sa famille. Sa dernière apparition publique, lors de la finale de la Coupe du Monde le 11 juillet 2010, fut pathétique. On a vu Madiba faire des tours de terrain dans une petite voiture de golf. Son épouse Graca Machel lui soulevait son faible bras pour saluer la foule.
Le public n’était pas en délire. Les pauvres supporters espagnols et hollandais n’ont pas vraiment compris qui était ce vieil homme arrivé par surprise pendant la cérémonie de clôture. Les Sud-africains préfèrent oublier ce fâcheux épisode, et ne veulent même plus en parler.
Peut-être ont-ils déjà commencé à faire leur deuil, bien avant le reste du monde.
Sophie Bouillon