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Un mari sur Internet, Inch’Allah
Les sites de rencontres pour musulmans et Maghrébins prospèrent en France. Revue de détail.
Mise à jour du 10 juillet 2012: Un nouveau site de rencontre va bientôt voir le jour en France. Il s'agit de Yemma, «le premier site de rencontre pensé par des mamans maghrébines», tel que décrit sur le site officiel Yemma.fr. Le principe est simple: de jeunes hommes ou femmes en quête d'amour font appel à des mères maghrébines qui sont ensuite chargées de leur trouver l'âme sœur. L'ouverture du site de rencontre est prévue dans 9 jours, et en attendant, l'on peut regarder une courte vidéo qui présente son fondateur, Marwaan Al Saadi, surnommé «l'homme aux 2000 mamans».
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Dans la rubrique «Quel est votre style?», l’internaute peut cocher «BCBG» (bon chic bon genre), «sportif», «branché», «décontracté», ou bien «hijab». Bienvenue sur Mektoube.fr, «site n°1 de la rencontres musulmane et maghrébine».
Lancé en avril 2006, Mektoube.fr affiche aujourd’hui plus de 530.000 membres, devant Inchallah.com, inauguré en juillet 2010, qui revendique déjà 200.000 inscrits, et Meetarabic.com, qui affirme lui aussi rassembler 200.000 cœurs solitaires. Mais la liste ne s’arrête pas là: Rencontres-musulmanes.com, Mon-Bled.com, Maghreb-in.com ou encore Nechtik.fr promettent tous le clic qui changera une vie.
«Les sites de rencontres communautaires et plus particulièrement les sites de rencontres pour musulmans connaissent un succès grandissant en France comme à l’étranger», constatait l’institut de sondage Ifop en janvier 2011, à l’occasion de la sortie d’une étude* sur le sujet, selon laquelle deux tiers des musulmans sont intéressés par les sites de rencontres.
Pas sérieux s'abstenir
Le terreau de cet engouement, selon l’Ifop? Le mariage est primordial pour les musulmans (c’est «très important» pour 66% d’entre eux), et il est inenvisageable d’épouser quelqu’un qui ne soit pas de la même confession pour 53% d’entre eux (74% des femmes). Or ils sont 33% à juger qu’il n’est «pas facile» de trouver un conjoint de la même culture ou religion, et rejettent en bloc l’idée de mariage arrangé (à 83%), mais aussi de rencontres en bar ou boîte de nuit (un moyen «approprié» de nouer une relation sérieuse avec une personne de la même religion pour seulement 20% d’entre eux).
«J’aimerais beaucoup rencontrer une fille de préférence maghrébine et surtout musulmane», témoigne Nadir, 26 ans, inscrit sur Mektoube.fr puis sur Inchallah.com. Le jeune homme, qui avoue ne pas draguer dans la vraie vie, liste les raisons:
«On partagera les mêmes valeurs, il y a l’attirance physique aussi, et puis je suis très attaché à mon pays d'origine, l’Algérie, donc c'est aussi pour nos traditions.»
Hatem Ahmed, fondateur du site Inchallah.com, raconte: «J’ai pas mal d’amis musulmans qui ont un mal fou à trouver l’âme sœur, qui leur plaise physiquement et ait les mêmes valeurs.» Pour Laouri Medjebeur, cofondateur de Mektoube.fr, même constat au départ: «J’avais des amies inscrites sur Meetic qui ne trouvaient pas ce qu’elles recherchaient, il n’y avait pas de filtres à l’époque.» Une aubaine pour le jeune entrepreneur, qui a repéré le succès des sites communautaires aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.
«Là-bas, on pouvait segmenter. Et on a remarqué que pour la plus grosse communauté en France –maghrébine–, il n’y avait rien du tout. On a très vite démarré, il n’y avait personne d’autre.»
Qui se ressemble s'assemble, CQFD
«Dans “marché de la rencontre”, il y a “marché”», note fort logiquement Pascal Lardellier, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne, et auteur de Le cœur NET, célibat et amours sur le Web (éd. Belin). «Cela répond à une logique économique.» Or, en France, la propension à épouser son semblable est très forte. Et «l’endogamie est d’autant plus marquée qu’on appartient à une communauté religieuse». D’où le succès de ces sites où ceux qui se ressemblent s’assemblent.
Laouri Medjebeur réfute tout communautarisme. «Certains préfèrent les grands blonds, hé bien là, ce sont les personnes d’origine maghrébine», résume-t-il. Pour Mektoube.fr, il préfère parler de site «maghrébin» plutôt que «musulman», mais «les gens ne tapent pas “maghrébin” sur Google. Ils se reconnaissent plus en tant que “Français musulmans”».
Pour Pascal Lardellier, on assiste néanmoins en France à «une spectaculaire recommunautarisation, avec, en première ligne, la rencontre assistée par ordinateur». Et de qualifier les sites de rencontres de «formidables accélérateurs de particularismes». Hatem Ahmed voit les choses différemment:
«Les jeunes sont matures de plus en plus tôt, et ils ont compris que le fondement de la vie à deux, au-delà de l’amour, c’est un socle de valeurs communes. Les principes de vie, ça a une importance.»
Laouri Medjebeur indique que, pour les membres de son site, «se marier avec une personne de même origine peut régler certaines questions, comme la religion des enfants, ou même faire plaisir aux parents».
Olfa, 36 ans, divorcée avec un enfant, a d’abord tenté la version tout public, sur Meetic. «Je ne vous cache pas que le fait d’être arabe, ça ne plaisait pas forcément à tout le monde, donc je ne faisais pas vraiment beaucoup de rencontres», avoue la jeune femme, d’origine tunisienne. Elle s’est alors inscrite sur Mektoube.fr. «Je me suis dis que forcément je trouverais ce que je recherche ou, du moins, j’aurais plus de chances de convenir aux hommes inscrits sur ce site.» Banco, elle y a rencontré celui avec qui elle est heureuse aujourd’hui.
Hatem Ahmed pourrait reprendre le témoignage à son compte:
«Sur Inchallah.com, on sait qu’on ne sera pas regardé comme une bête curieuse. Ces derniers temps, il ne fallait pas dire trop fort qu’on était musulman.»
Repli subi ou préférence assumée, la rencontre virtuelle musulmane et maghrébine s’implante solidement dans le paysage français. Mektoube.fr affiche plus de dix pages de témoignages de gratitude, et ses concurrents travaillent activement à rattraper leur retard.
Claire Friedel
*Enquête commandée par Inchallah.com et réalisée par téléphone du 23 au 24 novembre 2010 auprès d’un échantillon national représentatif de 503 personnes se déclarant d’origine ou de confession musulmane, âgées de 15 ans et plus.