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Un homme passe devant des affiches électorales, à Kano, au nord du Nigeria, le 1er avril 2011. REUTERS/STR New
Un homme passe devant des affiches électorales, à Kano, au nord du Nigeria, le 1er avril 2011. REUTERS/STR New

Farce électorale au Nigeria

Le pays qui a connu l'un des pires scrutins au monde en 2007 organise des législatives à haut risque. Les élections nigérianes sont-elles vouées à l’échec?

ABUJA, Nigeria — Vendredi 1er avril, la veille des élections législatives au Nigeria. A heure de grande écoute à la télévision, Attahiru Jega, président de la Commission électorale nigériane, a averti ses concitoyens que le pays manquait encore «d’un système démocratique stable dans lequel des élections paisibles, libres, justes et crédibles sont normales et considérées comme telles». Cette année, s’est-il engagé, le temps était venu pour le pays le plus peuplé d’Afrique de «faire les choses bien». Il a imploré les Nigérians de se mobiliser et d’aller voter en masse en déclarant: «Nous ne devons pas échouer.»

Les pires élections au monde

Moins de 24 heures plus tard, Jega se présentait de nouveau devant le pays, pour annoncer que les élections allaient devoir être repoussées —alors même que le scrutin avait commencé. Du matériel essentiel manquait dans des bureaux de vote, et le scrutin allait devoir attendre le lundi suivant. Mais le dimanche soir, le corps électoral fit une nouvelle déclaration, repoussant tout le programme des élections législatives, présidentielle et des gouverneurs d’État d’une semaine. Les élections censées ne pas se permettre d’échouer partaient sous de bien mauvais auspices.

Les rebondissements électoraux du week-end assènent un coup sérieux aux grandes espérances d’aube nouvelle pour le Nigeria. La transition soi-disant démocratique commencée en 1999, quand s’achevèrent presque deux décennies de dictature militaire avec «l’élection» d’un président, est une mascarade aux yeux de la plupart des Nigérians et des observateurs internationaux, qui ont vu toute une série d’élections (en 1999, 2003 et 2007) passer de franchement mauvaises à scandaleusement frauduleuses et violentes. Le summum fut atteint avec les élections de 2007, que les observateurs de l’UE décrivirent comme les pires auxquelles ils aient jamais assisté dans le monde, de leur vie, caractérisées par des vols d’urnes, des bulletins marqués avant l’ouverture des bureaux de vote et un processus de comptage absolument opaque.

L’ordre politique nigérian est plus familier avec le «parrainage» qu’avec la démocratie parlementaire. Les «big men», comme on surnomme ici les riches et les puissants, sont aux manettes, financés par des millions de dollars détournés des revenus du pétrole et des projets gouvernementaux. Et tous les autres ne cherchent qu’à se faire parrainer. Les élites nigérianes sirotant du champagne et les rois du pétrole internationaux avec leurs cigares contrastent de façon choquante avec les masses misérables. L’argent du pétrole est utilisé à tout bout de champ pour acheter une paix temporaire dans un pays aussi vaste que fracturé, et les élections ne font pas exception.

Nettoyer et réformer le processus électoral

Cette fois pourtant, ce devait être différent. Le président Goodluck Jonathan, successeur du président Umaru Yar'Adua décédé pendant son mandat en 2010, a joué sa crédibilité à la fois chez lui et à l’étranger sur sa capacité à réformer le processus électoral. Il a promis de nettoyer la très détestée Independent National Electoral Commission (Inec), largement considérée comme un instrument gouvernemental de bourrage d’urnes institutionnel. Jonathan a renvoyé des responsables, mis en place de nouveaux processus et promis un vote crédible.

Les événements du week-end dernier sont gênants pour l’Inec et en particulier pour Jega, récemment loué par Johnnie Carson, secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines des États-Unis, pour avoir nettoyé la commission dysfonctionnelle en à peine dix mois de présidence. Après l’annonce du report des élections, certains éminents groupes de la société civile ont tout de même exprimé leur soutien à Jega, avançant qu’ils craignaient que derrière la façade de confusion logistique ne se cache un sabotage aux mains des élites politiques redoutant le changement de l’ordre en place. En d’autres termes, il est possible que des membres même du personnel de Jega ne l’aient pas informé des gros retards de livraison de matériel essentiel au vote, le laissant dans l’ignorance avant son annonce à la veille des élections avortées du samedi. Le candidat de l’opposition et ancien leader militaire Muhammadu Buhari a déclaré à Reuters que le parti au pouvoir «a peur de laisser le peuple aller voter».

Jega se retrouve désormais entre l’écorce et l’arbre —en démissionnant dans les semaines qui viennent (comme l’a suggéré la Commission des droits de l’Homme nigériane), il justifierait la thèse des tentatives de l’élite politique de le saper discrètement, mais perdrait l’occasion de tenter des réformes de plus grande ampleur au sein de la Commission électorale après les élections.

Quoiqu’il en soit, les élections sont imminentes, et il est clair que les résultats du vote de 2011 ne resteront pas sans conséquence. Le Nigeria est un géant sur le continent africain: leader diplomatique lors des crises régionales, de la Libye à la République démocratique du Congo, en passant, plus récemment, par la Côte d’Ivoire. Et, en tant que plus grand producteur de pétrole et de gaz d’Afrique, c’est indéniablement le moteur économique de la région. L’issue de ces élections donnera le ton à rien moins que 27 scrutins programmés sur le continent cette année. Rien de surprenant que l’International Crisis Group ait récemment averti que si les élections nigérianes «n’inversent pas le processus de dégénérescence du droit de vote qui a lieu depuis que le Nigeria est revenu à un gouvernement civil en 1999», l’impact sera sensible localement et sur le plan international.

Tensions Nord-Sud et violences intercommunautaires

Dans la course présidentielle, repoussée désormais du 9 au 16 avril, la dynamique de la politique interne du pays, bouillonnante et potentiellement explosive, est sur le devant de la scène. Jonathan, président sortant et candidat du People's Democratic Party (PDP) a franchi le premier obstacle de la campagne en remportant la nomination de son parti en janvier. Sa victoire a confirmé que le PDP ne respecterait pas son engagement sur l’honneur selon lequel la présidence alternerait entre dirigeants du Sud et du Nord tous les huit ans —accord qui maintient un équilibre fragile entre puissants intérêts régionaux et religieux dans le pays. Si cet accord était respecté, Jonathan, qui vient du Sud, aurait dû se retirer pour quatre ans au bénéfice d’un candidat du Nord.

Son principal challenger, Buhari, a joué sur la déception provoquée dans le Nord par le soutien du PDP à Jonathan. Buhari, nordiste qui dirigea le Nigeria de 1983 à 1985, y bénéficie d’un grand soutien, en grande partie grâce à son impitoyable réputation de traqueur de corruption. Il s’est rebaptisé «candidat du changement» et pourrait remporter la mise dans le Nord, mais probablement pas dans tout le pays.

Anticipant ce genre de défi, et dans un nécessaire geste de conciliation, Jonathan a pris un colistier nordiste. Mais cela ne l’a pas empêché de tremper un orteil dans la triste politique ethnico-religieuse plus d’une fois pendant la campagne —ce qui pourrait exacerber les tensions dans des régions déjà instables. Par exemple, le président s’est récemment rendu à Jos, capitale de la région tendue de la Middle Belt —où plus de 250 personnes sont mortes depuis Noël dans des violences intercommunautaires complexes— pour afficher son soutien au gouverneur sortant de l’État du Plateau, Jonah Jang, bien connu pour avoir attisé les tensions locales entre communautés en guerre.

Jang a le pouvoir bien en main; pendant son mandat, il a habilement pratiqué l'art du parrainage et du népotisme tout en consolidant le système gouvernemental répressif «indigène», discriminatoire à l’égard des habitants de la région installés depuis une époque plus récente. Jang a pour rival son vice-gouverneur, également issu du parti au pouvoir, le PDP, dans l’un des nombreux scrutins dont l’issue semble impossible à déterminer. Des compétitions très contestées comme celle-ci sont susceptibles d’enflammer les tensions pendant les élections et après.

Des Etats qui rapportent gros

En effet, les élections locales menacent d’ouvrir autant de lignes de faille dans le pays que les élections présidentielles plus médiatisées. Les députés nigérians brassent plus d'un million de dollars par an (698.000 euros), selon un rapport de l’Associated Press, ce qui n’est parfois qu’une somme dérisoire comparée à ce que les 36 gouverneurs du pays arrivent à amasser pendant leur mandat, tout particulièrement dans les États du delta du Niger riches en pétrole, où les politiciens accumulant illégalement des fortunes personnelles sont monnaie courante. James Ibori, ancien gouverneur de l’État du Delta, recherché à la fois par les services de police nigérians et britanniques, a été arrêté l’année dernière à Dubaï, soupçonné d’avoir volé 290 millions de dollars (202 millions d'euros) pendant son mandat.

Malgré le système fédéral du pays, les gouverneurs sont dans une certaine mesure capables de gérer leurs États comme des fiefs, ce qui explique qu’il soit si important pour eux de s’accrocher au pouvoir. Cela signifie que les enjeux des élections sont élevés, et la campagne —et ces dernières années, la fraude électorale— intense.

Dans nombre de courses pour les postes de gouverneur des États, des résultats serrés peuvent facilement provoquer des conflits et des chicanes. Le fait que le gouvernement se prépare au pire pour le jour des élections (fermeture des frontières et restriction des déplacements le jour du vote) est une indication de l’ampleur des conflits locaux dans de nombreuses régions du pays. La National Emergency Management Agency a qualifié un tiers des 36 États de «points d’ignition» d’éventuelles violences électorales. Mais si le conflit explose, difficile de prédire si le gouvernement et ses forces de sécurité souvent abusives sauront le contenir.

«De l'air frais» qui sent le renfermé

L’une des promesses de campagne du PDP est «de l’air frais pour le Nigeria», une phrase placardée sur toutes les affiches arborant le visage de Jonathan coiffé de son inséparable couvre-chef noir. De l’air frais, c’est sans doute ce que tout le monde veut; reste qu’il n’est pas clair que Jonathan en insuffle. Il est fort probable qu’il soit reconduit quand le pays pourra enfin voter. Et malgré le départ fâcheux des élections législatives, les Nigérians ne semblent pas encore prêts à jeter l’éponge et à choisir le changement —bien que le tournant que va prendre la «deuxième prise» des élections samedi prochain, le 9 avril, constituera un test clé tant pour le public que pour la commission électorale. Il est extrêmement probable que le nouveau président du Nigeria, quel qu’il soit, doive de nouveau sa victoire à ses parrains.

Maggie Fick

Traduit par Bérengère Viennot

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