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Haïti tourne les pages
Au nord d'Haïti, dans la bourgade de Limbé, la bibliothèque Georges Castera fêtait le 8 juillet ses dix ans avec Dany Laferrière en invité d’honneur. Malgré les épreuves, l'île reste un vivier culturel.
C’est un des miracles comme sait en produire Haïti. Au nord de la capitale, dans la calme bourgade de Limbé, une petite bibliothèque fêtait ses dix ans d’existence et les 4.322 livres mis à disposition des 55.000 habitants dans de jolies salles baptisées des noms d’auteurs haïtiens: Gary Victor, Yanick Lahens et… Dany Laferrière.
Ce dernier est venu de Montréal tout spécialement, convaincu par la ténacité du fondateur de la bibliothèque Georges Castera de Limbé, qui répond au nom de Clément Benoit II. Dans une des rues principales de sa ville natale, ce garçon a transformé la maison de ses parents en bibliothèque, la première et unique de la ville, inaugurée le 8 juillet 2001.
A l’ouverture, elle comptait 57 livres, qui se sont multipliés chaque année jusqu’à ce fonds copieux. Clément est un passionné de culture, un activiste des lettres, qui a fait de ce lieu un poumon culturel pour ses compatriotes.
Ce 8 juillet 2011, les drapeaux furent hissés au son des hymnes joués par la fanfare locale, pour accueillir les invités de la fête sur un tapis rouge posé à même la rue. En compagnie de l’auteur de L’énigme du retour (prix Médicis 2009), son éditeur haïtien de Québec et poète, Rodney Saint Eloi, le poète Georges Castera —que Clément Benoit II chérit plus que tout autre, d’où son nom donné à la bibliothèque—, mais encore Emmelie Prophète, romancière et poète, venue représenter la Direction nationale du livre en Haïti, qu’elle dirige avec autant de passion que de professionnalisme.
Il fallait voir la cour de la bibliothèque, ombragée sous un grand amandier, se peupler d’une assistance nombreuse, tous âges confondus, venue célébrer l’événement. Lectures de textes, chants de troubadours, performances de slameurs et de diseurs, pas de danse… Tout était réuni pour un de ces «après-midi sans fin» chers à Dany Laferrière, et qui se prolongea tard le soir.
Des livres en liberté
Toute l’année, le valeureux Clément Benoit II parvient à faire venir les auteurs haïtiens dans sa bibliothèque. Et s’ils ne viennent pas jusqu’à lui, c’est lui qui se déplace: son opération itinérante «Livres en liberté», parvient dans chaque ville du pays à réunir une foule demandeuse de rencontres, et de livres. Le fondateur regarde aussi tout à côté de chez lui, et fait circuler les ouvrages à dos d’âne pour alimenter en nourritures spirituelles les plus petits villages entourant Limbé.
Cette aventure hors du commun fait de cette ville l’une des plus culturelles d’Haïti. Elle compte une société de poètes (Sopol), développe un cinéma en plein air et peut s’enorgueillir d’être la seule cité provinciale de l’île à être dotée d’un musée, construit par un américain en même temps que l’hôpital du Bon Samaritain.
Du docteur au député, de l’étudiant au responsable de la Croix Rouge local, tous fréquentent assidûment la BGCL, ainsi qu’on nomme la bibliothèque à Limbé. Elle tourne à raison de huit collaborateurs sur place, grâce aux subsides de financiers pour la plupart privés et de généreux donateurs. Pour la célébration de cette décennie glorieuse, Clément Benoit II a fait montre d’une telle énergie que les invités en sont restés médusés. «Il faudrait une dizaine de Clément Benoit pour le pays», a déclaré Emmelie Prophète en saluant l’efficacité de son hôte.
A quelques jours de la fermeture de la manifestation bien connue des Haïtiens «Livres en folie», un jour de folie à Port-au-Prince où chacun vient s’approvisionner en livres vendus avec une réduction de 40%, et profite de la présence des auteurs en signature (Edwige Danticat en était l’invitée d’honneur cette année), Haïti a montré qu’en dehors de la capitale, la culture demeure bien debout dans cette île habitée de poètes et d’artistes.
La culture vibre toujours en Haïti
A écouter les radios, à lire le quotidien Le Nouvelliste, ou l’hebdomadaire Le Matin, on est surpris de découvrir chaque jour la chronique de la vie littéraire, qu’il s’agisse du dernier recueil du poète James Noël Kanasutra (éditions Vents d’ailleurs) ou des bourses Barbancourt (du nom du rhum bien connu) récemment attribuées à Kettly Mars et Louis-Philippe Dalembert.
Dans ce pays encore sous le coup des conséquences du séisme du 12 janvier 2010, et qui cherche toujours son Premier ministre, la culture n’est peut-être pas la priorité mais elle vibre intensément au cœur d’un peuple qui compte tant de poètes et d’artistes.
En quittant Limbé, on garde longtemps dans les yeux l’image de cette petite grand-mère, somnolant sur sa galerie, un livre ouvert sur les genoux, tandis que quelques mètres plus loin, un enfant ouvre un album dans les salles fraîches de la BGCL.
Les pages se tournent dans tous les coins du monde, et jusque dans cette petite ville qui, par elles, ouvre ses fenêtres sur l’universel. «Voir Limbé et espérer», dit Clément Benoit II, chef d’orchestre de ces heures mémorables. Ce n’est pas un vain mot!
Valérie Marin La Meslée