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Comment les ravisseurs fixent-ils leur rançon?
Entre appât du gain et revendications politiques, les terroristes prennent des otages pour être payés, ou faire payer...
Mise à jour du 20 juillet 2012: Trois otages européens viennent d'être libérés dans le Nord-Mali alors qu'ils avaient été capturés en octobre 2011 en Algérie. Leurs ravisseurs, des islamistes du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest) ont obtenu en échange la libération de trois prisonniers islamistes. La rançon d'un tel échange est estimée à plusieurs millions d'euros. RFI précise: «Le Mujao évoque la somme de 15 millions d'euros, une allégation qui a peu de chance d'être confirmée de source officielle.»
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Les rançons, c'est non, à première vue. Mais qu'en est-il de la face cachée des négociations?
Il est impossible de «négocier sur ces bases». C'est la réponse d'Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, à la demande d'Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) le lundi 21 mars 2011. L'organisation terroriste, via un intermédiaire, réclame 90 millions d'euros pour la libération des Français Daniel Larribe, Thierry Dol, Pierre Legrand et Marc Ferret, enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit au Niger sur un site d'extraction d'uranium du groupe français Areva. Les trois autres otages de l'organisation terroriste —le Malgache Jean-Claude Rakotorilalao, le Togolais Alex Kodjo Ahonado et la Française Françoise Larribe— ont été relâchés fin février.
Loin des caméras et des micros, il n'est pourtant pas rare que le paiement de rançon ait effectivement lieu. C'est en général après qu'elle a été payée que le public l'apprend, rarement avant.
La récente libération de l'équipage tunisien du Hannibal II fournit un nouvel exemple. Ce navire avait été pris d'assaut par des pirates somaliens le 11 novembre 2010 dans l'océan Indien. Selon l'AFP, le ministère des Transports tunisien a confirmé qu'une rançon de 2 millions de dollars (1,4 million d'euros) avait été versée.
Loin des caméras
En millions ou en dizaines de millions d'euros, l'argent des rançons alimente la cause des ravisseurs, qu'elle soit politique ou crapuleuse. Munitions, 4x4 , essence... le matériel et les hommes coûtent cher. Un cercle vicieux où les victimes du chantage sont pris en tenaille entre la pression des preneurs d'otages, et la nécessité de sauver des vies.
Dans son article Irak, sanctuaire d'al-Qaida, la journaliste sénégalaise Ndèye Khady Lo parlait de «près de 300 hommes» rien que pour l'organisation Aqmi. Il faut équiper et nourrir tous ces combattants du Djihad, réunis dans des katibas, des camps d'entraînement. Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire français (la DST, devenue DCRI après la fusion avec les Renseignements généraux), aujourd'hui consultant chez Geos (groupe international chargé de la prévention et de la gestion des risques), explique:
«Les donateurs donnent aux djihadistes qui se trouvent en Afghanistan ou au Sahel. De son côté, Aqmi ne dispose d'aucune ressource extérieure.»
Les satisfaire risquerait alors d'entretenir ce «business» des enlèvements. C'est pourquoi la plupart des gouvernements ont signé la Résolution 1904 des Nations unies en décembre 2009. Cette dernière considère la satisfaction d’une rançon comme un encouragement aux pratiques terroristes. En conséquence, elle interdit:
«Le fait de participer au financement, à l'organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l'exécution d'actes ou d'activités en association avec al-Qaida ou toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident, sous leur nom, pour leur compte ou en vue de les soutenir. [Ces] prescriptions ci-dessus visent également le paiement de rançons.»
Une explication de la discrétion des négociations. Les rançons sont fixées et payées à l'abri des médias, pour permettre aux gouvernements, aux entreprises et aux familles de garder leur sang-froid devant un tel dilemme. Car si la libération des otages est une victoire, avoir payé une rançon pour l'obtenir est considéré comme un échec dans la lutte contre ces chantages à l'argent.
Le 26 mars 2011 dans l'émission française Salut les Terriens, l'ex-otage Antoine Falsaperla avouait s'être répété durant sa détention: «Sarkozy donne l'argent, je te rembourse quand je rentre!» faisant rire tout le public. Il a ajouté avoir été prêt à faire un crédit «sur trois vies». Il a été libéré après 91 jours de détention au Pakistan en 2009. Officiellement, personne n'a payé.
Les négociations
Lorsqu'il s'agit d'un enlèvement crapuleux qui n'est pas assorti de revendications politiques, les prix sont à géométrie variable. Le cas de la journaliste canadienne Amanda Lindhout et du photographe australien Nigel Brennan l'illustre. Ils avaient été enlevés au sud de Mogadiscio, la capitale somalienne, en août 2008. Ambroise Pierre, responsable du bureau Afrique à Reporters sans frontières, explique:
«Au départ les ravisseurs réclamaient 1 million d'euros. D'emblée les gouvernements ont refusé. Or quand les négociations n'aboutissent pas ça devient contre-productif pour les preneurs d'otages. Il faut les nourrir, les déplacer. De plus, les ravisseurs subissent la pression des personnes autour d'eux qui sont intéressées par cet argent. Donc ils finissent par baisser leur prix. Ici, ils ont libéré les otages au bout de quinze mois pour 300.000 dollars (211.000 euros).»
Le processus de négociation passe par des canaux informels, par des intermédiaires. Et ces derniers ne seraient pas étrangers au montant des sommes demandées. C'est l'analyse de Mathieu Guidère, chercheur français et spécialiste d'Aqmi. L'organisation fixerait une somme à des hommes chargés de négocier. Il seraient ensuite libres d'évaluer le montant de leur commission. «Chacun semble multiplier par deux ou trois la somme initiale», explique le chercheur. Plus il y a d’intermédiaires, plus le prix de la rançon augmente. Mais aucune trace écrite n'existe, les échanges d'argent se faisant concrètement par valises et non par chèques ou transactions bancaires.
Sur place, l'hypothèse est plausible. Ambroise Pierre raconte le rapt des deux journalistes anglais et espagnol enlevés au Puntland au nord-est de la Somalie en novembre 2008. Colin Freeman et José Cendón avaient été trahis par leur «fixeur» (traducteur aide de camp). Cet homme était chargé de les aiguiller dans leur reportage. Au lieu de ça, Awale Jama Salad, ex-journaliste reconverti dans le banditisme, les a livrés aux milices islamistes.
«A RSF nous avons appelé nos contacts sur place. Ils nous ont confirmé qu'Awale n'avait pas été enlevé avec les journalistes. Il a flairé le filon, comme beaucoup d'autres. Des personnes démunies se retrouvent du jour au lendemain avec des grosses montres et des berlines.»
Faire payer...
En dehors de payer l'action des ravisseurs et d'arroser l'entourage, les montants s'estiment en millions lorsqu'ils apparaissent comme des revendications politiques. Dans ce sens, au propre comme au figuré, la France en matière de rançon paye le prix fort.
D'une part, un sentiment d'injustice pousse aux enlèvements des expatriés français qui travaillent pour d'importantes entreprises comme Areva. D'autre part, le refus de libérer des terroristes détenus en France explique ces demandes de rançons démesurées.
Si l'on prend comme point de repère la somme déboursée par l'Espagne pour libérer ses deux otages d'Aqmi à l'été 2010, par rapport à la France, les prix fixés atteignent des sommets. Le quotidien espagnol El Mundo révélait que 7 millions d'euros avaient été versés pour libérer Roberto Vilalta et Roque Pascual. Ils avaient été enlevés en Mauritanie en novembre 2009.
Sur ces informations, Mathieu Guidère estime qu'un otage «vaudrait» entre «2 et 2,5 millions d'euros» en prenant en compte le pourcentage des intermédiaires. Et les enlèvements auraient rapporté entre «50 et 70 millions d'euros à Aqmi depuis 2008», ajoute-t-il.
Ces proportions sont loin de correspondre aux 90 millions demandés pour les quatre otages français. Pour Louis Caprioli:
«Ce ne sont pas des pauvres types. Ils savent que c'est une somme énorme. Ils n'ont pas forcément envie que les négociations aboutissent. C'est un signal.» Parfois c'est plus le «symbole que représente la somme que la somme elle-même qui compte» précise-t-il, «ici il s'agit de punir la France».
En l'occurence, l'argent ne constitue donc pas une fin en soi mais une vengeance.
Agnès Ratsimiala
L'Explication remercie Mathieu Guidère, chercheur français et auteur de «Al-Qaïda à la conquête du Maghreb». Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire, et Ambroise Pierre, responsable du bureau Afrique à Reporters sans frontières.
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