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Alassane Ouattara face à ses créanciers
Le président élu de Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, devra payer ses créanciers au moment de la victoire finale: alliés, ralliés, militaires, France et ONU. Par Venance Konan
Laurent Gbagbo, retranché dans son bunker d'Abidjan, refusait toujours mardi 5 avril de reconnaître la victoire électorale de son adversaire Alassane Ouattara. Mais sauf un improbable et spectaculaire retournement de situation, celui que les Ivoiriens ont élu président de la République de Côte d'Ivoire et que le monde entier a reconnu comme tel prendra bientôt les rênes de ce pouvoir qu’il attendait depuis si longtemps. Et il commencera alors à payer ses dettes à ses créanciers. Ils sont nombreux.
Les compagnons de route
Les premiers à se présenter seront sans nul doute tous ses partisans qui l’ont suivi depuis si longtemps, qui ont bravé brimades, vexations, harcèlements, exclusions, emprisonnements, tortures, et même la mort, mais qui n’ont jamais douté de lui. Il s’agit de ses compagnons de toujours, de ses fidèles parmi les fidèles, et de la grande majorité de la population du Nord de la Côte d’Ivoire. Il est indéniable que Ouattara ne serait jamais parvenu au pouvoir sans le soutien indéfectible de tous ceux-là, dont plusieurs ont réellement souffert le martyre sous les régimes de Bédié, Guéï et Gbagbo. C’est à bon droit qu’ils viendront exiger du nouveau chef de l’Etat leur récompense ou leur part du gâteau. Et l’on ne saurait reprocher à Ouattara de leur confier des postes importants dans l’appareil d’Etat.
Mais, ce faisant, il devra avoir à l'esprit qu’il courra alors le risque de se voir accusé de mettre en place un pouvoir ethnocentriste. Ce qui avait été fortement reproché à ses prédécesseurs Gbagbo et Bédié. Déjà, de nombreux murmures s’étaient fait entendre à Abidjan lorsqu’il avait commencé à nommer ses premiers ambassadeurs dans le monde. Les quatre premiers qu’il avait envoyés en janvier 2011 à Paris, Washington, Londres et aux Nations unies étaient tous originaires du Nord. Interrogé sur cette question, un de ses proches répondit que le chef de l’Etat n’avait pas le choix, car ceux-là, en dehors d’Ally Coulibaly, l’ambassadeur nommé à Paris et qui est un ancien journaliste, étaient les premiers ambassadeurs professionnels qui avaient basculé de son côté, et qu’il était évident qu’il rééquilibrerait les choses dès que la situation serait redevenue normale.
Henri Konan Bédié, rallié avec sa base électorale
Le second créancier de Ouattara qui viendra réclamer son dû sera Henri Konan Bédié, l’ancien chef de l’Etat. Si le successeur de Félix Houphouët-Boigny fut l’inventeur du concept de l’ivoirité, dont l’objectif était à ses débuts d’empêcher Alassane Ouattara d’accéder un jour à la présidence de la Côte d’Ivoire, il s’est, sous le règne de Laurent Gbagbo, réconcilié avec son ennemi d’hier et celui-ci lui doit incontestablement son élection. Le 15 novembre 2010, en la résidence d’Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, Bédié avait solennellement appelé son électorat, essentiellement constitué des membres de l’ethnie Baoulé, la plus importante numériquement, à voter pour Ouattara. Celui-ci avait promis en retour de nommer un Premier ministre issu du parti de Bédié, le PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d'Ivoire et Rassemblement démocratique ivoirien).
Tous les observateurs notèrent que Bédié se mobilisa beaucoup plus pour la campagne de Ouattara que pour la sienne lors du premier tour. L’on vit les deux hommes posant sur les affiches de campagne de Ouattara, Bédié, debout, la main sur l’épaule de Ouattara assis. Le message fut compris par l’électorat de Bédié: voter Ouattara, c’était aussi voter Bédié. Et il vota effectivement en masse pour Ouattara, au grand dam de Laurent Gbagbo. Nul ne peut contester que sans ce vote des Baoulé, Ouattara n’aurait pas été élu.
Guillaume Soro et ses forces
Mais les choses se compliquèrent dès l’annonce des résultats, Laurent Gbagbo refusant de reconnaître la victoire de son adversaire. Pire, il fit le siège de l’hôtel du Golf où résidait Ouattara et prit les médias d’Etat en otage. Il fallut opposer à Gbagbo une autre force. C’était Guillaume Soro, le chef de l’ex-rébellion, qui en disposait. Celui qui fut le dernier Premier ministre de Laurent Gbagbo et ne tarissait pas d’éloges à son égard avait pris le parti de Ouattara dès l’annonce des résultats. Ce dernier le nomma donc Premier ministre et ministre de la Défense.
Des voix se mirent à murmurer dans les rangs du PDCI-RDA sur la promesse trahie de Ouattara. Mais les proches de Bédié se dépêchèrent d’expliquer que Guillaume Soro avait été nommé par Ouattara avec l’accord, voire sur l’insistance de Bédié lui-même, compte tenu de la situation. Et il est évident que sans la guerre menée par les hommes de Guillaume Soro, Ouattara n’aurait pas pu avoir la réalité du pouvoir que les urnes lui avaient donné. Bédié a fait élire Ouattara, Soro l’a conduit au palais. Guillaume Soro devient donc lui aussi son créancier.
Exigera-t-il de demeurer Premier ministre ? Le faire serait mettre en difficulté Ouattara qui a sa promesse envers Bédié à tenir. L’on a parlé d’un poste de vice-président qui n’existe pas dans la Constitution pour Soro. Soro l’a-t-il demandé? Ouattara le lui a-t-il promis? Nous n’en savons rien. Mais ce serait probablement une erreur de la part de Ouattara que de donner un tel pouvoir à celui qui l’a fait roi. Car l’appétit venant en mangeant, Soro pourrait être tenté en cours de route d’effacer le préfixe «vice» de son titre.
Comment alors payer sa dette envers Guillaume Soro? Sans doute en le convainquant de s’effacer pour le moment et de se contenter d’un rôle de grand conseiller, et en plaçant certains de ses proches à des postes importants. Soro, qui est né en mai 1972, a encore pour lui la jeunesse. Il a tout le temps de se préparer à succéder un jour à Ouattara à la présidence. Ouattara pourrait lui promettre de le préparer à cela.
Les chefs de guerre
Et ses chefs de guerre? Ce sont eux qui ont combattu sur le terrain. Ils méritent aussi une juste récompense. Mais certains d’entre eux ont des passés très chargés, c’est le moins que l’on puisse dire. Puissants chefs de guerre et commandants des zones contrôlées par les Forces nouvelles pendant huit ans, plusieurs d’entre eux ont commis de graves exactions sur les populations et pillé toutes les ressources existantes. Martin Kouakou Fofié par exemple, le tout-puissant commandant de Korhogo, est sous le coup de sanctions de l’ONU pour avoir enfermé une soixantaine de personnes dans des containers exposés au soleil jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Il a aussi été question de massacres perpétrés par les combattants de Soro à Duékoué, lors de leur récente avancée sur Abidjan, sans que l’on sache pour le moment toute la vérité sur l’affaire. S’il s’avère qu’ils se sont effectivement rendu coupables de tel crimes, il serait difficile pour Ouattara de les garder à côté de lui ou de les intégrer dans l’armée régulière. Il serait sans doute préférable pour le chef de l’Etat qu’il les laisse s’éclipser dans la nature, quitte à ce qu’ils aillent se faire pendre ailleurs.
IB, l'homme du commando invisible
Un autre créancier inattendu est l’ancien sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, autobombardé général, qui a revendiqué la direction du «commando invisible» qui a mis fin aux massacres perpétrés par les milices de Gbagbo dans le quartier d’Abobo à Abidjan. IB, qui voue une haine tenace contre Guillaume Soro, celui qui l’a évincé de la direction des Forces nouvelles, aurait, selon des rumeurs, réclamé de diriger les opérations de libération d’Abidjan afin d’en retirer toute la gloire. Et c’est ce qui aurait retardé l’opération, manquant presque la faire capoter.
L’homme aux ambitions démesurées ne manquera pas de venir présenter lui aussi sa facture au nouveau chef de l’Etat. Il faudra sans doute à ce dernier apprécier la part réelle d'IB dans la victoire et le récompenser en conséquence, tout en le surveillant comme du lait sur le feu afin qu’il ne tente pas un jour de vouloir être calife à la place du calife.
La France et les Nations unies
La France et les Nations unies pourraient être considérées comme d’autres créanciers, puisqu’il aura fallu que leurs forces bombardent les camps militaires de Laurent Gbagbo pour que ses hommes arrêtent le combat. Alassane Ouattara, qui a de solides relations d’amitié avec le sommet de l’Etat français, n’a jamais caché sa volonté de tisser à nouveau les liens privilégiés que son pays avait avec la France. Et certainement que les entreprises françaises pourraient bénéficier de sérieux coups de pouce dans les marchés de la reconstruction de la Côte d’Ivoire.
Venance Konan
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