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La tragédie du roi Gbagbo
Comme le roi Christophe en Haïti, Laurent Gbagbo a transformé de nobles desseins en tyrannie sanguinaire. Par le journaliste et écrivain sénégalais Barka Ba.
Aimé Césaire, génie flamboyant, a laissé à l’humanité un chef d’œuvre impérissable, La tragédie du roi Christophe, magistralement interprété par feu notre compatriote sénégalais Douta Seck qui en fait une adaptation saisissante. La pièce raconte l’histoire de l’esclave Christophe, ancien cuisinier qui, par un de ces tours dont l’histoire a le secret, se retrouve maître de Haïti après la mort du héros de l’indépendance Jean-Jacques Dessalines.
Au départ animé d’une grande volonté de libérer son peuple des chaînes de l’esclavage et de la misère, Christophe, prenant goût au poison mortel du pouvoir, se transforme rapidement en tyran sanguinaire. Acculé par son peuple révolté par ses outrances, le despote finira par se suicider. Il y a du Christophe dans le destin du président Laurent Gbagbo qui, terré et fait comme un rat dans son bunker du palais de Cocody à Abidjan, à l’heure où ces lignes sont écrites, en est piteusement réduit à quémander la protection des forces de l’Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), sur lesquelles ses miliciens et ses soldats déchaînés s’acharnaient il y a peu.
Le héros qui a basculé dans l'ignominie
Dans les années 90, le prof vaguement marxisant qui avait osé défier le «bélier de Yamoussoukro», Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 jusqu’à son décès en 1993), avait fait la fierté de la jeunesse africaine éprise de démocratie et de liberté. Mais, dans sa conquête du pouvoir, Gbagbo n’a pas tardé à montrer son vrai visage: celle d’un homme cynique, menteur, calculateur et prêt à tout. Ainsi, pour éliminer son rival Alassane Ouattara de la course présidentielle, Gbagbo n’a pas hésité à surfer sur la nauséabonde théorie de l’«ivoirité» que l’ancien président Henri Konan Bédié (au pouvoir de 1993 à 1999) avait mise au goût du jour. Pis, en ramassant pratiquement le pouvoir dans la rue après l’épisode burlesque et tragique du général Guei (auteur d’un coup d’Etat contre Henri Konan Bédié, il a été chassé du pouvoir en 2000), Laurent Gagbo, sous l’influence de sa femme Simone, véritable Messaline tropicale, a basculé dans l’ignominie.
C’est sous son règne que sont apparus pour la première fois en Côte d’Ivoire des charniers, les escadrons de la mort, les sinistres hordes fascistes de prétendus Jeunes patriotes de Charles Blé Goudé (ministre de la Jeunesse de Gbagbo), le recours à des milices qui sèment la terreur et la désolation sur leur passage… Pour s’accrocher au pouvoir, Gbagbo et ses séides, sourds à tous les appels à la raison, auront plongé leur pays dans une guerre civile. Pis, l’entêtement qui confine à l’autisme de «l’enfant de Mama» aura conduit l’armée ivoirienne à la pire humiliation qui puisse se concevoir: une débandade généralisée des troupes, en quelques jours seulement, suivie d’une défaite cinglante devant leurs anciens collègues des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci) entrés en rébellion, pour la plupart d’anciens sous-officiers nordistes.
Des soutiens malgré tout
Malgré ce passif très lourd, il s’est trouvé des intellectuels africains à gage, y compris au Sénégal, véritables mercenaires de la plume qui, sous le prétexte fallacieux d’un nationalisme et d’un anticolonialisme à fleur de peau, ont soutenu jusqu’au bout le potentat de la lagune Ebrié. Devant l’histoire, tout comme leur ex-mentor, ils portent la lourde responsabilité du cauchemar ivoirien.
Le cas Gbagbo doit être médité par les nombreux satrapes qui sévissent sur notre continent, prêts à toutes les ignominies pour conserveur leur fauteuil. A ce propos, on comprend difficilement les propositions ahurissantes de la France de négocier le départ de Gbagbo, dont la place est dans un cachot de la Cour pénale internationale à la Haye aux côtés d’un Charles Taylor (Liberia) ou d’un Jean-Pierre Bemba (RDC), autres sinistres bourreaux de leur peuples.
A l’épreuve du feu, l’homme qui demandait aux jeunes Ivoiriens de se tenir prêts au sacrifice suprême pour «sauver la Côte d’Ivoire» a fait preuve d’une ultime lâcheté. Interrogé par les chaînes françaises LCI et TF1, du fond de son bunker, voilà ce qu’a répondu le matamore à deux balles: «Je ne suis pas un kamikaze, j’aime la vie; Je ne souhaite pas la mort, ce n’est pas mon objectif, mourir.»
Le roi Christophe, voyant sa fin proche, abandonné par tous ses généraux, avait eu au moins le courage de se tirer une balle dans la tête. Le petit dictateur de la lagune Ebrié, lui, n’aura pas cette élégance.
Barka Ba
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