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Les médias africains abonnés au mépris

Lors de la visite à Paris du président guinéen Alpha Condé, les médias français auraient eu droit à un traitement de faveur, estime le journaliste camerounais Christian Eboulé.

Y a-t-il une communication pour les blancs, et une autre pour les noirs? C’est, à l’évidence, l’exercice auquel viennent de se livrer l’Etat guinéen et l’agence Euro RSCG, à l’occasion de la visite en France d’Alpha Condé, le nouveau président de la République de Guinée. Après s’être occupé de la campagne électorale de celui qui était encore, il y a quelques mois, un opposant historique aux régimes dictatoriaux guinéens, le groupe de Stéphane Fouks avait en charge l’organisation de certains des événements prévus au cours de sa première visite officielle en France.

C’était notamment le cas pour un déjeuner de presse, qui s’est tenu le 24 mars 2011, dans le très chic hôtel Westin, situé rue de Castiglione, dans le Ier arrondissement parisien. Sur le carton d’invitation adressé par l’agence de communication à quelques «happy few», il était indiqué que le président de la République de Guinée invitait «quelques représentants des médias français à un déjeuner». Quelques journalistes donc, triés sur le volet –TF1, Le Monde, Challenges, Revue XXI, La Croix, AFP, RFI…– et comme par hasard tous blancs, se sont ainsi retrouvés autour d’Alpha Condé, pour «un jeu» de questions-réponses. Et au même moment, des journalistes de la presse panafricaine, noirs pour la plupart, ont été laissés sur le trottoir, sciemment tenus à l’écart de la rencontre.

Certes, tous ces confrères de la presse panafricaine n’avaient pas été conviés officiellement. Et certains n’avaient été informés que de manière informelle, par l’entourage du président guinéen. Mieux, l’on peut même concevoir que les autorités d’un pays puissent choisir de s’adresser à une catégorie précise de journalistes.

Seulement voilà, quoi qu’on en pense, la Guinée, c’est aussi le pays de Samory Touré, qui s’est opposé à la colonisation française, et celui de Sékou Touré, qui a dit non à la France du général De Gaulle, en déclarant notamment: «Nous préférons la liberté dans la pauvreté, à la richesse dans l’esclavage.» Et puis surtout, le président Condé, comme tous ceux qui sont à son service, ne peut ignorer les centaines de morts qui ont pavé le chemin qui a mené la Guinée vers ses premières élections démocratiques, et, à n’en pas douter, ses premiers pas vers la démocratie. Qu’elles le veuillent ou non, les autorités guinéennes sont comptables de cette histoire-là.

Et qu’on ne vienne surtout pas nous dire, comme l’ont fait les responsables d’Euro RSCG, probablement en accord avec les autorités guinéennes, que la salle était trop petite! Ou encore qu’ils n’avaient pas reçu mandat pour s’occuper de la presse panafricaine, car le président guinéen voulait s’adresser aux journalistes français, auprès desquels il souhaitait faire passer un certain nombre de messages.

Communication à plusieurs vitesses

Du reste, les chefs d’Etat africains francophones, comme une bonne partie des «élites» politiques de ces pays, nous ont habitués à cette communication à plusieurs vitesses. Ainsi, tout au long de l’année 2010, à Yaoundé comme à Dakar, très certainement à la demande des Etats, les agences de communication françaises ont plus ou moins pratiqué cet ostracisme. Et dans le cas du président Alpha Condé, pourquoi a-t-on invité seulement quelques représentants des médias français? La question mérite d’être posée. D’autant qu’il s’agissait de la première visite en France d’un homme qui avait fait de Paris la place forte de son combat politique, pour lequel il s’est toujours appuyé sur l’ensemble de la presse, sans exclusive.

Et puis, pour les confrères de la presse panafricaine, c’était l’unique occasion de le rencontrer, puisque aucune conférence de presse n’avait été prévue au Centre d’accueil de la presse étrangère à Paris. Malheureusement, sur un ton arrogant et presque comminatoire, les responsables d’Euro RSCG leur ont opposé un refus catégorique. Et à la déception s’est ajoutée l’humiliation de s’entendre dire que les médias panafricains ne représentaient rien en terme d’audience et d’information. Même notre confrère qui représentait l’hebdomadaire Jeune Afrique a dû faire le forcing pour être invité à cette rencontre. Il s’est d’ailleurs très sérieusement fait tancer par le Président guinéen, qui semblait avoir quelques griefs contre son journal.

Malaise entre confrères

En France, la presse panafricaine est certes sinistrée, et ses acteurs ont d’énormes défauts, y compris celui de céder un peu trop facilement au «griotisme alimentaire» –les griots alimentaires font de la communication à la place du journalisme. Mais est-ce une raison pour la piétiner de la sorte? Est-ce une raison pour ignorer les protestations du président de l’Association de la presse panafricaine, Louis Keumayou, qui faisait partie des journalistes refoulés? Du reste, quelques-uns des journalistes qui ont assisté à ce déjeuner ont avoué leur gêne, voire leur malaise, à passer devant leurs confrères noirs, restés à la porte, pour se retrouver entre journalistes blancs, devant un président africain. A posteriori, certains se sont même demandés s’il n’aurait pas été plus judicieux de manifester ostensiblement leur solidarité avec leurs confrères de la presse panafricaine. C’eut été un geste salutaire.

D’autant qu’aujourd’hui, les responsables d’Euro RSCG ne semblent pas prendre la mesure des conséquences d’un tel ostracisme. Ils poursuivent tranquillement leur business. L‘agence est en effet la filiale du groupe Bolloré, auquel Alpha Condé vient d’attribuer la concession du Port autonome de Conakry, au détriment de la société Getma International, propriété du groupe NCT Necotrans, son principal concurrent dans le pays. Il ne s’agit là peut-être que d’une série de coïncidences. Mais elles paraissent tout de même bien étranges. 

Christian Eboulé

 

Christian Eboulé

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