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Nigeria: Boko Haram, ennemi public numéro 1
La secte islamiste Boko Haram a revendiqué l'explosion d'une bombe dans une église d'Abuja le jour de Noël. Mais qui sont ces «fous de Dieu» qui veulent instaurer un Etat islamique pur et dur?
Boko Haram signifie «l’éducation occidentale est un péché» en langue haoussa, la plus parlée dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman. C’est également une des langues les plus importantes au Niger voisin.
Cela reflète la vive opposition du mouvement aux autorités d’Abuja, la capitale, accusées de promouvoir un Etat laïque, de ne pas faire appliquer la charia (loi islamique) d’une manière stricte dans les 12 Etats du Nord qui l’ont déjà réintroduite, et enfin d’être un allié des Occidentaux, notamment des Américains, dans leur guerre contre al-Qaida.
Quand le mouvement-a-t-il été créé?
Le mouvement a été créé en 2002 dans le nord-est du Nigeria, dans les Etats de Yobe et de Borno, qui comptent parmi les plus pauvres du pays. Il est particulièrement actif dans ce dernier, frontalier du nord du Cameroun et du Tchad. N’Djamena n’est d’ailleurs qu’à 200 km à vol d’oiseau de Maiduguri, capitale du Borno.
Mais à cette époque, les combattants islamistes de cette région sont connus sous le nom de «Talibans nigérians» en raison de leur modèle afghan, alors en guerre contre les Américains après les attentats du 11 septembre 2001.
Ces «Talibans» font très vite parler d’eux. En 2003 et 2004, ils lancent des attaques contre des postes de police, notamment pour s’emparer des armes et munitions. Un déploiement massif de militaires et de policiers dans la région gèle la situation pendant environ deux ans. Mais les islamistes sont réapparus en 2006, cette fois sous le nom de «Boko Haram». Et surtout en se dotant d’un chef, Mohammed Yusuf, né en janvier 1970 dans l’Etat de Yobe, selon une étude très complète réalisée par l’organisation International Crisis Group (ICG). Ce leader religieux, passé par des écoles coraniques au Tchad et au Niger, a enclenché en juillet 2009 une véritable insurrection dans quatre Etats du nord.
Si une grande partie de la région s’embrase, faisant craindre une guerre civile, les pires violences entre les islamistes et les forces de sécurité ont lieu dans la ville de Maiduguri, peuplée d’un million d’habitants.
Policiers et militaires emploient les grands moyens: ils lancent l’assaut contre une mosquée de Maiduguri servant de quartier-général à la secte; arrêtent le chef de Boko Haram et rasent l’édifice religieux. Le leader islamiste est tué lors de sa garde à vue.
Aucun bilan officiel n’a été publié, mais la Croix-Rouge a fait état de 780 corps enterrés dans des fosses communes de Maiduguri.
Comment expliquer la recrudescence des attaques?
Les autorités croyaient en juillet 2009 avoir exterminé Boko Haram. Mais ils ont transformé le chef de la secte en véritable martyr, que les combattants ont immédiatement voulu venger. Ils ont d’abord trouvé refuge au Niger et au Tchad voisins ou ont simplement fait profil bas à Maiduguri, selon ICG.
Ils se sont progressivement réorganisés, et, en septembre 2010, ont attaqué la prison de Bauchi, libérant plus de 700 prisonniers dont 150 de leurs combattants. Boko Haram avait plié un an plus tôt mais venait de relever la tête. La secte multiplie les attaques de commissariats, élimine les responsables politiques et religieux qui barrent sa route.
Depuis le début de l’année, le mouvement islamiste est passé à la vitesse supérieure: les attaques se font de plus en plus fréquentes et visent majoritairement les bars en plein air, souvent installés près ou même à l’intérieur des campements militaires. Le message est clair: boire de l’alcool, même une simple bière, est un crime ici, puisque la charia l’interdit.
Les victimes civiles sont donc de plus en plus nombreuses. La police est dépassée et, en juin 2011, l’armée a pris les choses en main en créant des unités spéciales.
Il est vrai que les forces de sécurité venaient de subir un affront majeur.
Début juin, le chef de la police nigériane Hafiz Ringim fanfaronnait que les jours de Boko Haram étaient comptés et qu’il les exterminerait en 10 jours. Peu après, une bombe a explosé devant le quartier-général de la police à Abuja, tuant deux personnes. C’était la première attaque de Boko Haram dans la capitale fédérale.
La secte est-elle liée à al-Qaida?
Selon les services de sécurité, des liens existent entre Boko Haram et la nébuleuse d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), très actif dans la bande sahélienne, de la Mauritanie au Niger. Ces derniers mois, Aqmi a enlevé plusieurs occidentaux à Arlit, la grande cité nigérienne de l’uranium, et même dans la capitale Niamey.
Des camps de formation d’Aqmi sont installés dans le nord du Mali et attirent de plus en plus de ressortissants ouest-africains, notamment des Nigérians. Et l’organisation terroriste a réussi à mettre la main sur des armes lourdes libyennes à la faveur de la guerre contre Kadhafi. Ces armes pourraient être revendues dans le nord du Nigeria.
Boko Haram est également liée aux shebab somaliens, eux-mêmes liés à al-Qaida et qui contrôlent une partie de la capitale Mogadiscio et du sud du pays. Mi-juin, le mouvement nigérian avait annoncé que certains de ses membres, formés en Somalie, venait de rentrer au Nigeria pour intensifier le «jihad», la guerre sainte.
Des liens avec des cellules d’al-Qaida au Pakistan, pays où s’était réfugié Oussama Ben Laden et où il a été tué par un commando américain le 2 mai 2011, existeraient également.
Va-t-on vers une guerre civile?
Les attaques de Boko Haram dans le Nord-Est, mais aussi jusqu’au centre de la capitale Abuja, gagnent en intensité semaine après semaine. Mais elles ne semblent toutefois pas, à ce stade, pouvoir faire basculer le géant démographique du continent (plus de 160 millions d’habitants) dans la guerre civile.
Les raids du mouvement islamiste appuient toutefois là où ça fait mal. Le Nigeria est un colosse aux pieds d’argile, avec de vives tensions entre le Nord majoritairement musulman et le Sud, en grande partie chrétien.
Les affrontements interreligieux et intercommunautaires enflamment régulièrement la région des Plateaux, dans le centre du pays, notamment autour de la ville de Jos. Les morts se comptent à chaque fois par centaines.
La brutalité de la répression des forces de sécurité, accusées de faire des victimes parmi des civils supposés soutenir les islamistes, n’arrange pas les choses. Elle risque de faire basculer les nombreux jeunes sans emploi vers une radicalisation religieuse et politique, favorisée par la pauvreté et la corruption.
Des millions de Chrétiens vivent dans le Nord. Si les violences s’étendent, ils risquent de fuir vers le Sud, provoquant d’importants mouvements de population. Et dans le Sud, ceux-ci pourraient se venger à leur tour sur la minorité musulmane. Une meurtrière spirale de vengeance s’enclencherait alors.
Il ne manque pas grand-chose pour faire exploser la poudrière nigériane. Boko Haram a allumé une mèche. Il n’est pas trop tard pour l’éteindre.
Adrien Hart
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