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Dans un camp de réfugiés près de Benghazi, le 1er mars.  Reuters/Asmaa Waguih
Dans un camp de réfugiés près de Benghazi, le 1er mars. Reuters/Asmaa Waguih

Les Africains piégés dans le fief de Kadhafi

Sans aide ni moyen de transport, de nombreux Africains se trouvent bloqués à Sebha. Cette grande ville du Sud libyen, fief de Kadhafi, est la cible de bombardements.

Au début étaient l’angoisse, les exactions, voire les violences meurtrières, consécutives à la présence supposée ou réelle de mercenaires noirs en Libye. Aujourd'hui, les immigrés africains font face à un péril d’un tout autre ordre: ils sont pris au piège, directement ou indirectement, par les bombardements de la coalition internationale.

Certains n’avaient pas voulu rentrer pour diverses raisons. Mais c’est surtout, pour le gros du contingent, un défaut de moyen de transport qui les empêche de quitter cette zone tampon entre la Libye et l'Afrique subsaharienne pour rentrer dans leur pays.

«Rien ne va plus. Il y a les bombardements et tout est devenu cher. Nous vivotons et on ne sait pas qui va nous aider.»

Telle est la complainte de Stéphan Noupa, ressortissant camerounais joint à Sebha. La principale ville du Sud, fief de la tribu des Kadhafa à laquelle appartient le Guide libyen, a été bombardée dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 mars 2011 avec, à la clef, des dizaines de mort et blessés. Les semaines précédentes, plusieurs pays avaient envoyé des avions pour évacuer leurs ressortissants. Mais la plupart des avions décollaient de Tripoli. Il fallait d’abord trouver une voiture pour parcourir les quelque 750 km séparant la capitale de Sebha pour espérer prendre un vol. Depuis la pluie de bombes visant les camps et dépôts d’armes de Sebha, le trafic civil aérien n’est désormais possible qu’à partir de la Tunisie. Ceux qui sont coincés à Sebha n’ont d’autre alternative que de se jeter sur les routes du désert pour gagner les frontières du Sud: 

«Pour s’échapper d’ici, il faut trouver un bon chauffeur, qui puisse vous convoyer à la frontière nigérienne ou tchadienne», se désole Stéphan Noupa.

Son compatriote Benoit Ayissi ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer l’attitude du gouvernement camerounais. «La plupart des pays ont envoyé des avions ou affrété des bus pour sortir leurs citoyens d’ici. Nous sommes désolés de ce manque d’humanisme», fulmine t-il. Pour lui, même si on leur amenait des camions, ils les prendraient, à l’instar des Tchadiens partis dans un convoi de gros porteurs.

Complications administratives

Lamine Dramé, président de l’Association des Sénégalais résidant à Sebha, estime à plus de 1.000 personnes la colonie sénégalaise de la ville. Seuls 178 ont pu gagner Tripoli pour rentrer au pays à bord des deux vols affrétés par le gouvernement sénégalais. De leur côté, les Guinéens ont pu quitter Sebha pour la frontière tunisienne, à bord de bus mis à leur disposition par leur gouvernement pour ensuite rentrer dans leur pays par avion. Disposer d’un moyen de transport, même mis à disposition gratuitement, ne suffit pas. Pour quitter la ville et arriver à destination sans anicroches, il faut un visa de sortie, délivré par les services de sécurité sur demande des pays d’origine.

«Ici, beaucoup ne travaillent plus, nos frères sont angoissés. Il y a eu surtout la terreur des bombardements. Je reviens ce matin même [mardi 29 mars, ndlr] de l’hôpital où j’étais au chevet de deux jeunes compatriotes blessés. L’un a eu une jambe cassée. Je peux vous dire qu’il y a eu plusieurs morts, même si je n’en connais pas le nombre parce que lors des frappes aériennes, les avions ont raté quelques fois leurs cibles pour atteindre les maisons.»

Le dérapage est confirmé par Moussa Diawara, ressortissant malien. Cet électricien en bâtiment qui vit depuis onze ans dans la cité témoigne: «Ce sont les camps qu’ils ciblaient, mais il y a eu des débordements avec ce pilonnage continu de 4h30 à 9 heures le matin. Sur un rayon de deux à trois kilomètres, j’ai vu des maisons effondrées, y compris des immeubles.» Sans donner une estimation exacte, Moussa Diawara confirme qu’il y a eu de nombreuses victimes, libyennes pour la plupart, dont la nièce de son patron.

Moussa Diawara évoque «une dégradation de la situation et un affolement généralisé». Pour autant, il n’entend pas quitter Sebha. Il pense à sa famille «laissée derrière», c'est-à-dire au Mali. Mais il est pour lui impensable de s'aventurer sur les routes du désert où la mort pourrait aussi le surprendre. 

«Je ne vais pas courir vers la mort. Autant l’attendre, surtout ici, malgré la rumeur sur la présence de mercenaires noirs en Libye, "un montage de l’Occident"

Cheikh Diop

 

Cheikh Diop

Cheikh Diop. Journaliste sénégalais.

Ses derniers articles: La lutte sénégalaise, opium du peuple  Le procès d'Hissène Habré aura-t-il lieu?  Les Africains piégés dans le fief de Kadhafi 

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