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Ali Sariati, bouc émissaire pour brebis tunisiennes égarées
Le procès de l'ex-directeur de la garde présidentielle de Zine el Abidine Ben Ali, Ali Sariati, divise les Tunisiens sur la légitimité des accusations et l'exemplarité implicite des poursuites. Le site Tunis Tribune dénonce par exemple l'instrumentalisation de cette procédure partiale:
«Une véritable sélection des accusés et de l'action publique est orchestrée par le gouvernement provisoire et son ministre de la Justice. Une sélection qui ne trouve aucune explication juridique et qui semble plutôt politique.»
Ali Sariati, dont le nom est devenu le symbole de l'ancienne dictature, est le seul cité par le Premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, le 30 mars lors d'une émission télévisée, comme exemple des poursuites judiciaires engagées à l’encontre des dignitaires de l'ancien régime. Ces derniers ne manquent d'ailleurs pas d’en faire leur bouc émissaire.
Arrêté le 14 janvier quelques minutes à peine après la fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali, l'homme demeure un personnage mystérieux à l'image de ces hauts fonctionnaires fidèles à l'ex-dictateur. L'ancien ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane, confiait: «Je pense que Sariati a poussé Ben Ali dehors, et qu'il fomentait un complot.» L'homme est en effet soupçonné de complot contre la sureté de l'Etat, ayant notamment pour but «d'inciter les gens à s'armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien», une accusation passible en théorie de la peine de mort, qui vise aussi, mais bien après le général Sariati, l'ancien chef de l'Etat lui-même.
En détention provisoire sur la base militaire de l'Aouina, à Tunis, l'ex-chef de la garde présidentielle âgé de 71ans, conseillé par quatre avocats, a répondu, les 16 et 17 mars, au magistrat chargé d'instruire le dossier, Brahim Oueslati, le doyen des juges de Tunis. A la tête de 2.500 hommes, le général a nié toute responsabilité dans les morts provoquées par les balles de policiers lors de la révolution tunisienne.
« Pendant les émeutes qui ont débuté le 17 décembre 2010, la direction de la sécurité présidentielle n'a joué aucun rôle parce que son activité, territorialement et fonctionnellement, est liée à la présidence», affirme-t-il.
Chargé de la protection du chef de l'Etat et de sa famille, il révèle qu'il se trouvait, du 23 au 28 décembre, avec l'ancien président et sa femme en vacances à Dubaï.
«Le 26 décembre, j'ai été appelé par Rafik Belha Kacem, le ministre de l'Intérieur -aujourd'hui incarcéré- pour me dire que la situation empirait et qu'il y avait des morts. Il m'a demandé d'informer l'ancien président, ce que j'ai fait.»
Un général droit dans ses bottes
Son rôle est pourtant essentiel. Ancien élève de l’école Saint-Cyr en France, ex-directeur de la sécurité de l’armée, directeur la sûreté nationale pendant onze ans, chef de la garde présidentielle depuis 2001, il connaît tout des rouages de la sécurité tunisienne.
« Lorsque nous nous sommes rendu compte de la fin des réserves de bombes lacrymogènes, j’ai été chargé de contacter certaines connaissances de la sécurité libyenne qui nous a envoyé le jour même, le 14 janvier, 1.500 pièces. 10.000 unités avaient déjà été commandées à la France. »
Le 14 janvier, au cœur du processus révolutionnaire, Ali Sariati revient sur son rôle d’informer le Président.
«J’ai informé le Président des événements des dernières vingt-quatre heures en lui communiquant le nombre de 28 tués par balles, et indiqué qu’il y avait huit cas à Tunis et El-Kram –commune proche du palais– (…). Je lui ai dit aussi que la journée allait être difficile du fait que les six morts au Kram seraient ensevelis vendredi après la prière, et que cela constituait une menace grave. Il m’a alors chargé de contacter qui de droit pour ne pas informer l’opinion publique du nombre de tués et pour donner à chaque famille 5.000 dinars –2.500 euros. Il m’a demandé de coordonner cela avec le gouverneur de Tunis, et un montant de 40.000 dinars a été versé.»
Selon le quotidien tunisien Tunis Tribune, «la manipulation médiatique du procès par les télévisions ne fait que confirmer le caractère politique de l’accusation du général Ali Sariati». D’après le site, il devient le seul incriminé et servirait surtout à détourner l’attention de l’opinion publique des autres responsables. Sa seule défense revient à dire que, militaire de formation, il n’a fait qu’exécuter les ordres de Ben Ali sans être à l’origine d’un quelconque complot puisque, dans les deux hypothèses (qu’il ait aidé ou pas le Président à s’enfuir), les faits n’expliquent pas l’inculpation ni même l’arrestation, au regard des implications plus significatives d’autres dirigeants.
«Mon père aurait fait un complot tout seul? Sans l'armée? Sans des politiques? Ce n'est pas logique!», s'émeut l'un des ses fils, Samir Sariati.
A ce jour, aucun autre gradé, aucun membre de la garde présidentielle n'a été arrêté. Les cinq subalternes interpellés le même jour que le général ont tous été relâchés. Ali Sariati, l'un des innombrables loups dans la bergerie, devenu le bouc émissaire parfait pour des brebis égarées.
Lu sur Nawatt, Tunis Tribune