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Bouteflika veut prêcher dans le désert
C’est dans le Sud algérien qu’Abdelaziz Bouteflika compte lancer sa campagne «anti-révolution» en ce début avril 2011. La géographie lointaine de ce vaste territoire saharien, réduit à des gisements d’hydrocarbures entourés d’une population dite passive et peu contestataire, offre quelques avantages politiques que l’invisible Président va utiliser pour revenir à la vie.
Ni la chute de Ben Ali, ni le départ de Moubarak, ni la «saddamisation» de l’ami Kadhafi, ni les immenses grèves et les centaines de manifestants qui entourent le palais présidentiel à Alger presque chaque jour n’ont eu la «dignité» de voir le Président algérien briser son silence pour eux. Sauf une silencieuse apparition le 8 mars 2011, journée de la femme, célébrée en «silence» avec quelques femmes reçues en audience, Bouteflika ne dit rien depuis des mois et se montre à peine.
Les affaires courantes de l’Etat, la scène politique ou les célébrations et autres messages, sont assurés par l’usage des «lettres» et des discours lus en son nom par des représentants inconnus ou par son «ambassadeur» itinérant, Abdelaziz Belkhadem, ministre d’Etat, représentant personnel du chef d’Etat et secrétaire général du FLN. C’est par cette interface que les Algériens ont écho des activités de Bouteflika et de ses possibles centres d’intérêts ou tendances de décision. Et c’est par lettre que Bouteflika a annoncé, à Mostaganem, dans un courrier à un syndicat d’étudiants algériens, son intention de réformes profondes restées toutefois sans détails. Une occultation qui ira donner des arguments à la thèse d’une maladie handicapante et à celle d’une grève présidentielle pour cause de dissensions au sommet sur la succession. La rumeur sur un discours «quasiment inaudible» enregistré en janvier et jamais diffusé pour cette raison, à l’époque des émeutes de «l’huile et du sucre», avait fait le tour d’Alger et pendant longtemps.
Une stratégie bien rodée
Trois mois après le début du printemps arabe, Bouteflika a donc choisi l’extrême frontière du Sud algérien pour apparaître en public à Tamanrasset le 5 avril. Certains de ses ministres sillonnaient déjà la région depuis des semaines pour préparer le terrain, sonder les opinions et convaincre les foules, les «clients» et les attentistes. Une formule de «contournement» des tensions du Nord algérien employée, il y a des années, à l’époque des évènements en Kabylie (2002). A l’époque, Bouteflika saluera même, dans cet esprit, le calme des gens du Sud algérien et leur «citoyenneté» par rapport aux turbulents Algériens du Nord. C’était juste avant l’éclatement des premiers cycles d’émeutes dans le Sud, dans les parages immédiats des grandes zones industrielles d’exploration et d’exploitation pétrolières prises en otage par les chômeurs locaux.
Pour cette fois, Bouteflika semble opter pour la même formule d’une région vue comme acquise, sans les excès de la surpolitisation, sans opposants locaux, ni concentration médiatique excessive et ingérable. La visite bénéficie du prétexte du grand projet de transfert d’eau In Salah à Tamanrasset lancé par Bouteflika en mai 2008 mais garde à l’œil ses raisons politiques indirectes. D’abord celle d’un «démenti» sur les rumeurs cycliques à propos de l’état de santé de Bouteflika que l’on voit marchant et saluant, ensuite celle d’une volonté de reconquête de terrain là où le terrain n’est pas miné par les mouvements de contestation du Nord et les «marches pour la chute du régime» et, enfin la raison «régionale»: une volonté de marquer le territoire dans la géographie du non-Etat du Sahel de plus en plus étendu et mieux armé avec les turbulences qui occupent les Etats du Maghreb, de ressouder les liens avec les tribus de la région tentées par les aventures du banditisme ou du mercenariat au profit des parties libyennes, et d'affirmer la présence de l’Etat près de frontières de plus en plus instables avec le conflit ouvert en Libye.
C’est du moins ce que veulent comprendre beaucoup d’observateurs algériens qui n’arrivent pas à s’expliquer cette sortie vers l’extrême Sud, là où c’est l’extrême-Nord qui attend un discours présidentiel qui ne vient pas. A toutes ces pistes, quelques Algériennes aiment ajouter celle, plus amusante, de la nostalgie: Bouteflika aimerait peut-être rappeler les temps anciens du maquis de la guerre de Libération où il avait été affublé du titre de «Abdelakder le Malien» pour son court séjour au Sahara à cette époque.
Kamel Daoud