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Une manifestation à Alger, le 2 mai 2011. REUTERS/Zohra Bensemra
Une manifestation à Alger, le 2 mai 2011. REUTERS/Zohra Bensemra

La «contre-révolution» algérienne a commencé

En Algérie, le marasme de la révolution libyenne et l’exemple syrien ont fini par redonner confiance au régime de Bouteflika.

Les énormes dépenses servant à «clientéliser» des pans entiers de la société, les promesses de logements et de crédits bancaires pour les jeunes, et celles de réformes incarnées par la commission Bensalah… Telle est la stratégie menée de paire avec celle, plus dure, des arrestations, répressions, exclusions et inculpations des nouveaux leaders des différentes oppositions en Algérie.

Neutraliser l'université

Depuis quelques semaines, les exemples se multiplient. D’abord le cas de cet étudiant en sixième année de doctorat en sociologie à l’université Alger, Hamzaoui Abdelkarim, membre actif de la Coordination nationale autonome des étudiants (CNAE). Il sera radié de l’université sur simple notification d’un procès-verbal du conseil de discipline, tenu le 19 juin 2011.

Dès le mois d’avril, le mouvement des étudiants, toutes disciplines confondues, protestant à l’origine contre une réforme pédagogique décriée, semblait assurer la relève d’une vraie opposition au régime. Cette opposition que la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) n’a pas réussi à incarner le 12 février dernier.

Le mouvement des étudiants réussira même à casser un tabou policier tenace: assurer la marche de dizaines de milliers au cœur de la capitale, déclarée zone interdite aux protestations des rues depuis deux décennies déjà. Le spectacle avait redonné confiance aux autres mouvements sociaux et annoncera pour certains la vraie couleur du printemps algérien, attendu par tous.

Le mouvement sera durement réprimé par les polices, et les leaders commencent déjà à être visés directement par la police politique, l’appareil judiciaire et les «mesures disciplinaires».

Sur la liste, on compte aussi le cas de Rahmoune Améziane, désormais interdit d’inscription dans toutes les universités du pays. Le dispositif de neutralisation des nouveaux leaders a pris de soin d’affiner ses méthodes avec des blocages administratifs «dont font l’objet certains étudiants ayant participé aux derniers mouvements de protestation. Ces blocages se manifestent par la lenteur dans la délivrance des diplômes de fin d’études», affirment de nombreuses sources indépendantes. Enfant du socialisme révolu, le régime garde encore l’œil sur l’une des sources traditionnelles de contestation dans les régimes policiers: l’université.

Surveiller les chômeurs

La «contre-révolution» surveille aussi le mouvement des chômeurs du pays, devenu une force de mobilisation dans les régions pétrolières et les villes du Sahara algérien. Le Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) a en effet pris racine dans ces régions où la richesse des sous-sols contraste avec la pauvreté des «gens de la surface».

Recrutements sélectifs, corruptions, «enveloppes» pour accéder à l’emploi, sentiments d’exclusion des populations locales qui regardent d’un mauvais œil les cadres et la main d’œuvre «importés du nord» algérien pour les besoins des grosses sociétés pétrolières et de l’empire Sonatrach [entreprise publique d'hydrocarbures]… ont réussi à «souder» un mouvement social de plus en plus fort. Après une phase d’observation, le régime choisira d’y répondre par la violence puis par la batterie des lois, même les plus surréalistes.

En exemple, les cas de Ziouane Hamza et d’Aldjia Adel, deux jeunes chômeurs à Ouargla, la capitale du désert, qui seront arrêtés et inculpés pour… tentative d’immolation devant un commissariat! Les deux jeunes croupissent encore en prison depuis des mois déjà, malgré laforte mobilisation des autres chômeurs exigeant leur libération et le traitement du chômage dans cette ville, qui a banalisé le suicide «à la Bouazizi» sans provoquer la réaction du «Nord».

«L’été du régime» touche aussi les activités d’autres membres des syndicats autonomes fortement mobilisateurs en Algérie, et pas encore domestiqués. Des syndicats qui ne cachent pas leur proximité avec des mouvements politiques d’opposition et qui ont réussi à se créer une légitimité menaçante pour le pouvoir.

Ce dernier a longtemps essayé de les neutraliser en refusant de leur délivrer les agréments qu’exige la loi et par un traitement de faveur pour le syndicat «maison» du pouvoir, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), dernier reliquat de l’époque du parti unique. De nombreux syndicalistes de base sont ainsi suspendus depuis quelques semaines; exclus, radiés ou mis en disponibilité dans les villes de l’intérieur du pays, principalement, là où l’effet de loupe des médias est le plus faible —et pour mieux couper l’herbe sous les pieds des leaders au sommet, à Alger.

La chasse aux nouveaux opposants

Dernière illustration en date de cette chasse aux nouvelles têtes, le cas de Mouhib Khatir, maire de Zéralda, localité balnéaire convoitée dans l’Algérois. Le maire, qui a pris soin de dénoncer sur YouTube le harcèlement et les menaces reçus par les lobbys de la mafia locale, est en prison depuis quelques jours après une spectaculaire opération d’arrestation totalement disproportionnée.

La raison? Une affaire floue d’escroquerie et de diffamation, «montée de toutes pièces» selon lui et les quelques centaines de personnes qui se rassemblent dans la ville pour réclamer sa libération depuis quelques jours. Selon la chronologie des faits, il s’agit d’un bras de fer avec un lobby local dont font partie un procureur, un juge, des policiers et des «parrains» mafieux qui veulent sa tête.

Le cas est à retenir car Mouhib Khatir est surtout à la tête d’un mouvement social inédit: le Forum national des maires. Fin mars 2011, le mouvement avait réussi à regrouper des centaines de maires algériens autour d’une plate-forme de revendications de base: l'immunité pour«protéger l'élu de toute forme de business politique», en plus du statut particulier pour définir les droits et devoirs du maire, et l'étude du cumul des fonctions, avec une révision du système des primes et indemnités accordées aux élus locaux.

Quelques semaines plus tard, le maire des maires «tombe» à son tour mais avec beaucoup de bruit: outre les rassemblements des habitants de la commune, une page Facebook a déjà été créée pour soutenir le maire: «LMK, libérez Mouhib Khatir».

Tuer l'opposition dans l'œuf

Pour beaucoup, la stratégie du pouvoir algérien est simple et ses raisons évidentes: il s’agit de cultiver «en serre» un personnel d’opposants de décor, incapables de mobiliser les masses mais compétent pour assurer le décorum d’un pluralisme de façade. Pour cela, les leaders politiques «embedded», acteurs de petits partis politiques, sont l’idéal: ils peuvent parler mais jamais mobiliser, critiquer mais pas faire marcher les foules, servir d’alibi mais jamais menacer.

Le pouvoir ne s’y attaque jamais, ou seulement en de rares occasions: pas d’arrestations spectaculaires, ni de répressions directes. Pour beaucoup d’Algériens, l’action du 12 février 2011 de la Coordination pour le changement a été «plombée» par la présence du leader du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Le pouvoir le savait et a laissé faire.

La stratégie n’est pas la même en ce qui concerne les nouveaux leaders: là, il faut les prendre au berceau, les tuer dans l’œuf et empêcher qu’ils n’acquièrent une plus grande notoriété. D’où cette répression brutale contre les nouvelles têtes qu’on ne peut encore intéresser par une offre directe.

La répression est aidée par le manque de visibilité de ces jeunes et l’étrange apathie de la société algérienne, incapable de donner une suite collective à des revendications dites de corporation, mais qui concernent tout le monde.

Depuis quelques années, la propagande du régime a finement distillé une idée de base: «Si ce n’est pas l’actuelle équipe au pouvoir qui dirige le pays, qui le fera?». Le but étant de convaincre de l’inexistence d’une relève capable de gouverner l’Algérie, et donc d’empêcher les actuels leaders de prétendre à la succession.

Beaucoup d’Algériens restent convaincus que sans le «Mal» du pouvoir, «le pire» est à craindre. Et comme le Pharaon du mythe de la naissance de Moïse, le Pouvoir algérien a fait un rêve et semble aujourd’hui plus que jamais décidé à tuer les nouveaux-nés, dont l’un est prédestiné à ruiner le règne.

Kamel Daoud

 

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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