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"Bolt" Take 2 by ToNG!? via Flickr CC
"Bolt" Take 2 by ToNG!? via Flickr CC

Pourquoi les Jamaïcains courent si vite?

Comment un pays de deux millions d'habitants domine le sprint mondial.

Le Jamaïcain Usain Bolt est devenu champion du monde du 100m dimanche 16 août 2009 à Berlin. Il a pulvérisé son propre record du monde (9''58) devant l'Américain Tyson Gay (9''71) et un autre Jamaïcain Asafa Powell (9''84). Usain Bolt a maîtrisé la course de bout en bout: un bon départ, un passage en tête rapide et un écart avec Tyson Gay, son seul rival. Pas de relâchement à l'arrivée comme à Pékin et Bolt, après avoir été le premier homme sous les 9''70 aux 100m, est maintenant le seul à avoir passé la barre des 9''60 qui semblait inatteignable il y a encore deux ans.

Les championnats du monde d'athlétisme, qui débutent à Berlin le 15 août, n'ont pas le même éclat que les Jeux Olympiques qui se sont déroulés, voilà un an, dans le désormais célèbre Nid d'Oiseau de Pékin. Mais un homme, Usain Bolt, peut en être le spectaculaire trait d'union.

A 22 ans, celui que l'on surnomme Lightning Bolt continue d'impressionner dans le sillage de Jeux qui l'ont vu rafler trois médailles d'or et battre trois records du monde, sur 100m (9'69), 200m (19'30) et lors du 4X100m (37'10) en compagnie de ses compatriotes Asafa Powell, Nesta Carter et Michael Frater.

Depuis, Bolt, devenu une star planétaire, a refusé de relâcher la pression. A chacune de ses sorties estivales, qu'il monnaye jusqu'à 200 000 dollars par meeting, le record du monde a semblé être en danger, tant Bolt paraît sûr de lui et de sa puissance à travers des déclarations qui ne souffrent d'ailleurs d'aucun discussion, comme ses victoires. Il est sur terre pour, comme il dit, «se faire une place dans la légende».

La confiance en soi est l'un des traits caractéristiques de tout champion. Usain Bolt n'en manque pas à l'aube de ces mondiaux allemands qui doivent être pour son pays, la Jamaïque, l'occasion de montrer à nouveau que ses coureurs sont bien les rois du sprint. Car à Pékin, Bolt n'avait pas été, loin de là, le seul Jamaïcain à se mettre en évidence, même s'il avait éclipsé ses compatriotes en raison de ses performances et de son charisme.

Sur 100m toujours, Shelly-Ann Fraser était ainsi devenue championne olympique devant... deux autres Jamaïcaines Sherone Simpson et Kerron Stewart, à égalité pour la médaille d'argent. Sur 200m, Veronica Campbell-Brown avait également décroché la médaille d'or qui était allée s'enrouler, quelques jours plus tôt, autour du cou de Melanie Walker, lauréate sur 400m haies.

Une vieille tradition

L'irruption de la Jamaïque sur la scène du sprint ne date pas, évidemment, de Pékin, mais cette fois, c'est l'ampleur de ses succès qui a surpris et forcément entraîné des question. Sur les courtes distances, le pays avait déjà eu, en effet, son lot de médailles. En 1948, Arthur Wint était devenu son premier médaillé d'or, sur 400m. Herb McKenley avait ensuite ramené quatre breloques des deux olympiades de 1948 et 1952, comme Don Quarrie entre 1968 et 1980. Quant à Merlene Ottey, elle est montée neuf fois sur le podium entre 1980 et 2000 lors d'une carrière au long cours.

Trois champions olympiques du 100m, originaire de Jamaïque, mais ayant endossé une nouvelle nationalité après leur naissance, peuvent même être mis au crédit de cette île de 2,8 millions d'habitants: le Canadien Ben Johnson, couronné puis déclassé à Séoul en 1988 pour usage de stéroïdes, le Britannique Linford Christie, sacré à Barcelone en 1992, et le Canadian Donovan Bailey, le plus rapide à Atlanta en 1996. Si ces trois-là avaient porté les couleurs vert, noir et jaune de la Jamaïque, Usain Bolt n'aurait pas été un pionnier sur 100m, mais seulement un successeur.

Dopage

En ces temps troublés, et sachant que trois des cinq derniers champions olympiques du 100m (Ben Johnson, Linford Christie et Justin Gatlin) ont été suspendus pour dopage au cours de leur carrière, le doute reste évidemment permis d'autant qu'Usain Bolt a battu ses deux records individuels avec une insolente facilité. Et sachant que la Jamaïque, jusqu'aux Jeux de Pékin, n'avait pas instauré le moindre programme anti-dopage sur son sol -ce qu'elle a fait depuis avec révélation, le 24 juillet, de cinq infractions lors de ses derniers championnats nationaux. Il n'en reste pas moins qu'aux dernières nouvelles, Bolt et tous les autres médaillés de Pékin n'ont pas été contrôlés positifs lors des multiples compétitions auxquels ils ont participé. Même si la progression de Fraser, passée de 11'74 à 10'78 en deux ans, en a laissé quelques-uns pantois.

Garder en tête ces nuages noirs n'empêche pas de retenir une certitude. Le sprint est ancré dans la tradition jamaïcaine comme la musique de Bob Marley est vénérée comme une religion. Et un événement célèbre cette passion pour les courses de courte distance. Il est organisé, à chaque début du printemps, au National Stadium de Kingston où s'affrontent toutes les écoles du pays à l'occasion de l'annuel Inter Secondary Schools Sports Association Boys and Girls Athletic Championships. Plus de 2 500 jeunes s'y défient pendant quatre jours devant une foule de spectateurs estimée quotidiennement à 20-30 000 spectateurs. Manifestation unique en son genre qui a fait dire à Ato Bolton, vice champion olympique du 100m en 2000 et originaire de Trinidad et Tobago, que «la Jamaïque est au sprint ce que La Mecque est aux musulmans.» Tous les samedis matins, les écoliers, par centaines, ont sinon l'habitude de se réunir pour des entraînements collectifs et il est notoire de constater qu'ils portent tous des pointes, même à leur plus jeune âge. Devoir courir vite fait partie de leur ordinaire. «En Jamaïque, nous mangeons et nous dormons sprint», résume Shelly-Ann Fraser.

Moins d'exils

Le sprint coule, ou plutôt court, dans le sang des Jamaïcains qui doivent aussi leurs récents progrès au fait qu'ils sont de plus en plus nombreux, à l'image d'Usain Bolt et de Shelly-Ann Fraser, à demeurer sur leur île, en dépit des difficultés économiques, et à refuser donc de rejoindre les universités américaines qui avaient l'habitude de siphonner les meilleurs talents du pays. Les «collèges» de l'Oncle Sam se sont révélés, à la longue, usants et destructeurs à cause d'emplois du temps démentiels qui ne menaient pas forcément à l'or olympique. En restant, en s'entraînant et en étudiant chez soi, les sprinters jamaïcains se sont aperçus qu'ils gagnaient en fraîcheur et donc en efficacité. Et puis, par fierté, ils ne voulaient plus rien devoir à ces Américains à qui ils avaient envie prouver qu'ils avaient les moyens de conquérir les titres sans leur aide et leur argent. «Il n'y a rien de bon là-bas pour nous», a même dit Asafa Powell, recordman du monde du 100m avant d'en être dépossédé par Usain Bolt. A Pékin, il a été frappant, à ce titre, de constater que la Jamaïque s'est couverte de gloire sur le sprint quand les Etats-Unis y ont connu les pires résultats de leur histoire.

Il existe enfin, en Jamaïque, une vieille croyance pour expliquer que cette étonnante réussite se niche au cœur des gènes de ses habitants. Stephen Francis, l'entraîneur d'Asafa Powell, l'avait résumée de la sorte dans les colonnes de L'Equipe en 2008:

«Nous sommes tous des descendants d'esclaves. Nos ancêtres étaient donc particulièrement résistants puisqu'ils avaient survécu à ce terrible voyage depuis l'Afrique. A l'époque de la traite des Noirs, la Jamaïque ne constituait qu'une première étape avant les Etats-Unis. Mais les plus rebelles des esclaves n'étaient pas envoyés sur le continent, de peur qu'ils ne sèment le trouble dans les plantations. Ils étaient gardés ici en Jamaïque et nous ont légué leur force de caractère.»

Yannick Cochennec

Yannick Cochennec

Rédacteur en chef adjoint de Tennis Magazine de 1997 à 2007, collabore aujourd'hui à L'Equipe Magazine, Golf Magazine et Golf Européen.

Ses derniers articles: L'Afrique du Sud, l'autre pays du golf?  Où est passé le tennis africain?  Pourquoi les Jamaïcains courent si vite? 

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