mis à jour le

Les femmes refusent d'être les «prolétaires de la famille»
L'égalité des genres passe par les témoignages et la dénonciation systématique des injustices que subissent les femmes.
Friedrich Engels, dans un ouvrage important mais oublié, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, indiquait que, «dans la famille, l'homme est le bourgeois; la femme joue le rôle du prolétariat.»
S'il ne se trouvait sans doute pas grand monde pour le contredire au XIXe siècle, époque qui l'a vu naître, ce constat est-il toujours d'actualité en 2013? Dans la famille et, à plus large escient, la société, la femme est-elle toujours cantonnée au second rôle?
Dans les pays développés, l'émergence du féminisme s'est accompagnée de nouveaux droits pour les femmes, le premier d'entre eux étant celui de vote. Sur le plan de la citoyenneté, la voix d'une femme est donc de même valeur que celle d'un homme. Professionnellement, les représentantes de la gent féminine prétendent aujourd'hui aux mêmes droits que les hommes. Des revendications qui tardent tout de même à porter leurs fruits.
La loi des «plus forts»
L'histoire de l'humanité entière en témoigne, les précis de psychologie de base aussi: les situations de détresse sont souvent l'occasion de se retourner contre plus «faible» que soi, de se choisir un souffre-douleur. En gros, de mettre en branle un mécanisme de défense, consistant de façon assez primitive à relativiser sa souffrance à l'aune de celle des autres, quitte à provoquer cette dernière.
A ce petit jeu, la femme est bien souvent la victime idéale.
A tel point que plusieurs indices s'occupent de mesurer, à travers le monde, les inégalités et discriminations dont elles font l'objet. Citons par exemple l'indicateur sexo-spécifique de développement (ISDH), version sexuée de l'Indice de développement humain permettant d'établir des études comparatives. Cet indice prend en compte trois critères: la longévité et la santé, l'instruction/l'accès au savoir et le niveau de vie.
La discrimination liée au sexe est considérée comme extrême, lorsque l'ISDH féminin est inférieur de 20 points à l'IDH. Un écart que parviennent sans trop de difficultés à réaliser le Yémen (-58), l'Arabie Saoudite (-35), Oman (-32) ou encore laGuinée Bissau (-31).
L'indicateur de participation des femmes (IPF) a, quant à lui, pour but de mesurer la contribution des femmes dans le processus de décision économique et politique, mais aussi leur salaire moyen par rapport aux hommes, sans qu'aucune corrélation ne puisse a priori être établie avec l'ISDH. Même si, là encore, on constate en toute logique que les femmes sont moins présentes sur le devant de la scène dans les pays dans lesquels leurs droits élémentaires sont inexistants ou bafoués.
Des tentatives ont été faites pour combiner rapport IDH/ISDH et IPF au sein d'une seule et même étude. En vain.
La méthodologie utilisée pour l'agrégation des différents indicateurs et l'utilisation de bases de données internationales peinent à faire leurs preuves, et conduisent à des erreurs d'interprétation fréquentes. On en est donc réduit à comparer soi-même les tableaux, pour tenter d'en tirer des enseignements.
En Norvège, pays possédant l'IDH le plus élevé et un des écarts IDH/ISDH les plus faibles au monde, les femmes sont globalement bien insérées dans la société. Elles représentent 36,4% des parlementaires, et 49% des postes d'encadrement et fonctions techniques du pays. Leur salaire moyen équivaut à 0,74 fois le salaire moyen des hommes.
A contrario, le Niger, pays possédant l'IDH le plus faible au monde et l'un des différentiels IDH/ISDH les plus marqués (-19), ne compte que 1,2% de femmes parlementaires. Le salaire moyen des femmes y est de 0,57 fois celui des hommes. Même chose en Sierra Leone, pays parmi les plus pauvres du globe, où le comparatif IDH/ISDH témoigne de disparités hommes/femmes importantes (-18), et où le salaire moyen de ces dernières est d'à peine 0,41 fois celui des hommes.
L'Afrique ne s'en sort pas mal
Dans cette triste compétition, l'Afrique est d'ailleurs le continent qui tire le mieux son épingle du jeu.
Si, comme on l'a vu, les pays présentant le plus fort écart IDH/ISDH n'en proviennent pas, dans l'absolu, les 20 pays aux plus faibles IDH, ISDH et IPF du monde en sont tous issus. A titre indicatif, notons que la moitié de ces pays sont francophones.
Ces chiffres attestent des écarts flagrants de traitement qui prévalent entre hommes et femmes dans certaines régions du monde. Pourtant, ils restent des chiffres. Personne ne les ignore vraiment. Personne ne les prend non plus vraiment en compte. Il leur manque un visage. Une consistance charnelle. Une matérialisation.
Pour remédier à cela, plusieurs initiatives ont vu le jour, à l'instar du Forum mondial des femmes francophones imaginé par Yamina Benguigui, ministre française déléguée à la Francophonie, qui se tient le 20 mars à Paris, en marge de la Journée internationale de la Francophonie.
400 femmes issues des 77 pays francophones du monde vont pouvoir évoquer les conditions de vie qui sont les leurs dans leurs pays.
Dénonciation systématique
Si cette initiative peut sembler anecdotique, elle n'en est pas moins primordiale. Ce n'est qu'au prix de témoignages systématiques des injustices dont elles sont les victimes que les femmes parviendront, à terme, à obtenir les mêmes droits que les hommes. Pour ne plus être les «prolétaires de la famille», ni même des peuples, il n'y a sans doute pas d'autre solution que de mettre en lumière leur condition, les violences qu'elles subissent se perpétrant bien souvent dans l'ombre.
De nombreux pays possèdent d'ores et déjà des mécanismes administratifs mettant les femmes au cœur de leurs politiques publiques. Mais les moyens leur manquent à l'élaboration d'actions efficaces dans de nombreux domaines: accès à l'éducation, à la culture, à la santé, à la formation professionnelle. Encore une fois, la sensibilisation des populations à ces problématiques semble la seule façon efficace de lutter contre ces fléaux.
Bastien Delvech