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Inflation & gold by Paolo Camera via Flickr CC
Inflation & gold by Paolo Camera via Flickr CC

Mugabe fait main basse sur l'or

Toutes les sociétés minières étrangères doivent vendre 51% de leurs parts à des Zimbabwéens dans les six mois. C’est ce qu’a décidé le tout-puissant Robert Mugabe, en campagne électorale, à 87 ans.

Signes avant-coureurs de l’assaut donné par le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, sur les mines: en février 2011, les licences d’exploration ont augmenté de 2.000%, passant subitement à 1 million de dollars. Pas des dollars zimbabwéens, puisque la devise nationale s’est dépréciée au point d’être remplacée en avril 2009 par des billerts verts américains… Selon une Loi sur la montée en puissance et l’indigénisation (Indigenisation and Economic Empowerment Act), adoptée en 2010, toutes les firmes étrangères d’une valeur de plus de 500.000 dollars US doivent vendre 51% de leurs parts à des ressortissants zimbabwéens. Depuis le 28 mars, ce sont toutes les sociétés minières d’une valeur d’au moins 1 dollar qui sont concernées. Elles ont jusqu’au 9 mai pour mettre au point les cessions, qui devront être finalisées à la date butoir du 25 septembre –une présidentielle devant se tenir après. Explications de Robert Mugabe:

«Nous reprenons tout. Ecoutez, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis: ceci est notre pays. Si vous avez des compagnies qui veulent travailler dans notre secteur miner, elles sont bienvenues, mais nous devons avoir notre peuple comme principal actionnaire. Lonhro, Anglo American, Rio Tinto, il faut vous transformer et devenir zimbabwéennes. Nous voulons des noirs, notre peuple, notre jeunesse. C’est une autre dimension de la lutte [contre le colonialisme, ndlr]. Que cette leçon porte loin.»

Un modèle qui fait des adeptes en Afrique du Sud

La leçon pourrait porter jusqu’en Afrique du Sud, où l’un des meilleurs amis de Mugabe, Julius Malema, 29 ans, turbulent président de la Ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL), préconise la nationalisation des mines à hauteur de 51%. Il présente plutôt le Botswana que le Zimbabwe comme un modèle à suivre: l’Etat y détient 51% de Debswana, une joint-venture formée avec De Beers, groupe privé sud-africain et leader mondial du diamant brut. Grâce à la manne diamantaire, le Botswana a investi dans l’éducation et la santé, pour devenir l’exception africaine. Le seul pays à être cité pour sa réussite et sa stabilité.

Pour l’instant, la nationalisation n’est pas la politique officielle du gouvernement sud-africain. La cession de 26% des intérêts miniers à des partenaires noirs, une mesure de Black Empowerment décidée en 2002, doit être achevée en 2012. Quelle sera la prochaine étape? Nul ne saurait le prédire. Une enquête a été diligentée par l’ANC dans 13 pays du monde sur la question de la nationalisation des sociétés minières. Ses conclusions seront discutées en 2012, lors du prochain congrès quinquennal de l’ANC.

Le dernier secteur encore debout

Au Zimbabwe, la cession forcée des mines paraît «politique» aux yeux de l'économiste John Robertson. Une mesure pré-électorale qui va susciter bien des convoitises dans la bourgeoisie locale et resserrer les rangs du parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF). Cette «indigénisation» des mines va aussi permettre à Mugabe de faire vibrer la corde nationaliste et d’avoir un message à faire passer sur les médias d’Etat, pendant sa campagne. Quitte à mettre un peu plus à genoux l’économie de son pays, plongé dans une crise sans fin depuis 1998.

Déjà, face à la montée de l’opposition lors des législatives de 2000, il avait lancé une «réforme agraire» qui s'était soldée par la confiscation pure et simple des terres détenues par les fermiers blancs, descendants de colons britanniques, au profit des barons du pouvoir et de leurs amis à Harare. Après les élections de 2002, qu’il avait remportées en usant de la fraude, l'agriculture a périclité, de même que les manufactures et le tourisme. En faisant main basse sur le dernier secteur de l’économie qui tient encore debout, Robert Mugabe parachève une œuvre de destruction qui évoque le syndrome Mobutu: mettre le pays à terre pour qu'il n'y ait rien à transmettre à de potentiels successeurs. Après lui le déluge.

Une nationalisation à visée politique

Depuis trois ans, Robert Mugabe partage à contrecœur son pouvoir avec le Mouvement démocratique pour le changement (MDC, principal parti d’opposition), incarné par le Premier ministre Morgan Tsvangirai. Il y a été contraint après les élections de 2008, très contestées et marquées par des violences. Cette solution ne lui convient plus: il a donc décidé d’organiser de nouvelles élections avant la fin de l’année, deux ans avant la fin de son mandat.

La date du scrutin n’a pas été fixée, mais le MDC subit déjà le harcèlement du régime Mugabe. Son siège à été perquisitionné deux fois en mars. Trois de ses meetings ont été interdits. Elton Mangoma, le ministre de l'Energie issu du MDC, a été arrêté pour la seconde fois en un mois, le 26 mars, pour abus de pouvoir. Il lui est reproché d’avoir acheté des équipements pour la société nationale d'électricité. Des mandats d'arrêt sont en préparation, dont l'un contre Tsvangirai, dont la proximité avec les Etats-Unis, rapportée par les câbles américains divulgués par WikiLeaks, pourrait le mener devant un tribunal pour haute trahison, comme en 2003. Et ce, même si un ambassadeur américain en poste à Harare en 2007 décrivait Tsvangirai en ces termes:

«Une personnalité à la réputation entachée, pas vraiment ouvert aux conseils, indécis et au jugement douteux dans la sélection de ses collaborateurs (…). Un élément indispensable au succès de l’opposition, mais probablement une entrave une fois que cette dernière sera au pouvoir. En bref, une sorte de Lech Walesa: le Zimbabwe a besoin de lui, mais ne devrait pas compter sur ses capacités à gouverner pour redresser le pays

L'opposition persécutée

Voilà dix ans que l'histoire piétine au Zimbabwe. Les élections de 2002, truquées, avaient été remportées par Mugabe, face à un Tsvangirai apeuré qui s'était discrètement réfugié au dernier étage de l'hôtel où logeait toute la presse internationale, appelant à une intervention étrangère. Traité par Mugabe de valet des puissances occidentales, Tsvangirai a traversé depuis bien des épreuves. En 2007, il a été passé à tabac et arrêté lors d’une manifestation. Il a comparu le visage tuméfié, avant d’être hospitalisé.

Les membres et les élus de son parti se sont fait assassiner: 86 d’entre eux sont morts avant l’élection de 2008, et 200.000 personnes ont été chassées de leurs foyers dans les banlieues populaires de Harare, où le régime a fait raser au bulldozer les bicoques des partisans réels ou supposés du MDC. Au premier tour de l’élection de 2008, Tsvangirai a remporté 48% des voix contre 43% à Mugabe, pour ensuite renoncer au second tour, en raison du niveau de violences atteint à travers le pays. En 2009, sa femme est morte dans un accident de voiture auquel il a lui-même réchappé. Un drame que ses sympathisants imputent à une machination de la Zanu-PF.

Ancien syndicaliste, Morgan Tsvangirai est critiqué dans son propre parti pour son légalisme et son manque de pugnacité. Il ne s’est jamais résolu à user de la violence contre Mugabe. Père d’une indépendance chèrement acquise, en 1980, après une longue lutte de libération nationale, Robert Mugabe garde jalousement le monopole de la révolte et de la violence politique. Comme Mouammar Kadhafi en Libye et Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, il se pose en grand révolutionnaire de l’Afrique contemporaine, prêt à en découdre avec le monde entier –tout en distillant la terreur chez lui. La meilleure immunité, pense-t-il, contre un soulèvement populaire.

Sithando Sam 

Sithando Sam

Sithando Sam. Journaliste sud-africaine.

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