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Le Maroc, une monarchie modèle?
Le roi Mohammed VI du Maroc montre l'exemple aux autocrates du Moyen-Orient qui veulent rester au pouvoir.
Mise à jour du 9 mars: Le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a salué à Rabat le «modèle» marocain. «La Constitution a été réformée en profondeur, des élections transparentes se sont déroulées, un nouveau gouvernement s'est mis au travail, et tout cela de manière apaisée, même si tout n'est pas parfait», a déclaré Alain Juppé.
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La leçon que les autocrates semblent avoir retenue de l'Égypte et de la Tunisie a quasiment été l'exacte antithèse de ce qu'espéraient les défenseurs de la démocratie. Au lieu de moins recourir à la force, les dirigeants de la région ont préféré en faire davantage usage, atteignant des niveaux inhabituels de brutalité.
Des récits révoltants de viols massifs et de torture nous proviennent de Syrie et de Libye, où des milliers de personnes ont été tuées. Au Bahreïn, proche allié des Américains et port d'attache de la Cinquième flotte de l'U.S. Navy, des milliers d'individus ont été arrêtés ou forcés à quitter leur emploi.
C'est comme si le «printemps arabe» s'était transformé en «hiver du mécontentement arabe», selon la formule imagée du politologue Gregory Gause.
Un modèle marocain «différent»
A une époque de désillusions croissantes —et de discours télévisés désastreux— l'adresse du roi du Maroc à la nation, le 17 juin 2011, est sortie du lot. Son discours n'a pas été grandiose et n'a pas vraiment répondu aux exigences des manifestants, mais il a marqué un engagement de fond avec l'opposition. Le monarque de 47 ans n'a pas vilipendé son propre peuple et n'a pas non plus dénoncé de complot étranger.
Au lieu de cela, il a annoncé une nouvelle Constitution, qui pourrait restructurer la politique du pays. Tout en conservant un droit de veto effectif sur les décisions les plus importantes, il a promis de donner plus de pouvoir aux institutions élues. Le Premier ministre, issu du parti majoritaire du Parlement, pourra nommer et congédier les ministres —mais aussi dissoudre le Parlement.
Le Maroc offre un «modèle» différent au reste du monde arabe, que les autres monarques regarderont de près. Ce n'est pas un vrai modèle de transition démocratique vers une «monarchie constitutionnelle» à la britannique, comme l'a récemment déclaré le Premier ministre marocain Abbas El Fassi. Rien ne dit que le roi Mohammed VI soit prêt à se contenter d'un règne sans pouvoir. L'histoire de la monarchie marocaine est pavée de promesses de réformes non tenues.
La stratégie de la préemption
Mais c'est précisément là qui repose tout l’intérêt: pour préserver votre pouvoir, vous avez parfois besoin de lâcher un peu de lest. On peut y voir un modèle de réforme «préemptive». Dans ce cas, les autocrates prennent les manifestations au sérieux. Ils annoncent de grandes réformes de premier plan —que ce soit en se dotant de gouvernements élus, ou via des Constitutions recalibrées. Ils libèrent des prisonniers politiques et mandatent de réelles commissions qui font de réelles propositions.
Ils donnent de l'espoir aux gens en choisissant les mots qu'il faut: changement, démocratie, réforme, institutions, responsabilité.
Ce faisant, cette fois-ci, le régime marocain a réussi à prendre l'initiative et à soustraire un peu de sa dynamique aux mouvements protestataires du 20 février, la fragile union des gauchistes, libéraux et islamistes qui a fait descendre des dizaines de milliers de Marocains dans la rue. Avec un «oui» franc et massif au référendum constitutionnel du 1er juillet, la monarchie va pouvoir se targuer du soutien de la masse des Marocains à la Couronne, et asseoir davantage la légitimité du régime en ces temps incertains.
La préemption est une stratégie tout particulièrement adaptée aux monarchies populaires, dont les réserves de légitimité historique et religieuse sont abondantes. Comme feu le roi Hassan II, père de Mohammed VI, l'avait déclaré:
«On ne me fera jamais rentrer dans une équation.»
Les monarques de la région —dans un fort contraste avec les présidents— se tiennent au-dessus de la mêlée, et agissent davantage en arbitres qu'en compétiteurs.
Un tel modèle a beau être séduisant auprès des autocrates assiégés, ce n'est pas pour autant un rempart contre la révolution. Une fois les changements enclenchés, il est difficile de les contrôler. Avec une marge de manœuvre politique plus importante, les groupes d'opposition ont davantage de latitude pour obtenir l'appui et la mobilisation de leurs partisans. Ils peuvent être davantage tentés de défier le roi directement.
Dans leur décisif ouvrage Transitions From Authoritarian Rule, les politologues Philippe Schmitter et Guillermo O'Donnell parlent de «l'incertitude extraordinaire de la transition et ses nombreuses surprises». Pour ceux qui ont le pouvoir, les surprises peuvent se révéler dangereuses. Où vont-elles s'arrêter?
Demain, plus de liberté?
A une époque, les rois et les reines dominaient l'Europe. Mais quand les parlements ont pris de plus en plus de pouvoir, les élus et les notables ont commencé à s'affirmer, au détriment des monarques.
De tels contextes politiques se sont transformés en batailles rangées. Et nombre d'entre elles, s'étalant sur des décennies, ont été ponctuées par des périodes d'instabilité et des effusions de sang (la Révolution d'octobre en Russie et la «Terreur» de la Révolution française n'en sont que les exemples les plus marquants).
Dans un passé plus proche, aussi, les transformations pacifiques des monarchies ont été plutôt rares. Mais ces réalités historiques ne signifient pas que cela se reproduira nécessairement à l'avenir.
Les perspectives de réforme au Maroc ne dépendront pas uniquement du roi et de sa généreuse dévolution du pouvoir, mais aussi d'autres forces qui, au sein de la société, se battront pour plus de liberté et de démocratie, et pourront éventuellement défier le roi sur son propre terrain.
Pour aujourd'hui, cependant, un tel scénario est difficilement envisageable. Les partis politiques traditionnels marocains sont prudents, timides, et d'une bien trop grande déférence à l'égard du roi. En tant que tel, au Maroc, le modèle préemptif de réforme semble bénéfique aux autocrates —peut-être un peu moins à leurs opposants.
Shadi Hamid
Traduit par Peggy Sastre
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