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Najib Chaouki, membre du Mouvement du 20 février et journaliste à Lakome.com. © Ali Amar, tous droits réservés.
Najib Chaouki, membre du Mouvement du 20 février et journaliste à Lakome.com. © Ali Amar, tous droits réservés.

Lakome.com, «le petit WikiLeaks» du Maroc

Dans leur minuscule bureau de Rabat, de jeunes militants et quelques éditorialistes de renom font vibrer un journalisme indépendant que l’on croyait mort à jamais.

Ils sont comme Astérix et les Gaulois dans leur village retranché faisant la nique à César et à ses légions. Leur botte secrète? La puissance d’Internet bien sûr, mais aussi et surtout leur professionnalisme, doublé d’une liberté de ton que le pouvoir pensait avoir éradiqués par la censure. Une vraie bouffée d’oxygène dans un paysage médiatique qui a perdu de sa vivacité. Moins entreprenante que par le passé, certes, car elle est aujourd’hui tétanisée par un Etat vengeur et ses lois liberticides.

En décembre dernier, lorsqu’Ali Anouzla, vieux routier de la presse qui a notamment fait carrière au sein du journal panarabe Asharq Al Awsat, se lance à corps perdu dans son projet de «journal électronique libre et indépendant». Très peu de gens pariaient sur sa réussite: il n’existe pas de modèle économique viable pour la presse numérique au Maroc, malgré les 10,4 millions d’habitants qui ont accès à Internet —dont 3,6 millions d’abonnés à Facebook.

Trois mois plus tard, Lakome.com («pour vous», en arabe), dans ses deux versions arabophone et francophone, cartonne. Il est l’un des rares médias à aborder encore des sujets qui fâchent, et s’est imposé comme la référence des sources d’information au Maroc. Sa visibilité a été d’autant plus accentuée à l’aune des révolutions arabes.

Des scores d’audience appréciables

Les charges sont comprimées au maximum et se limitent au seul loyer d’un petit local du centre-ville de Rabat. Le site ne vit que grâce à un faible autofinancement de son fondateur, et espère enfin glaner ses premières commandes de publicité. Ses journalistes sont pour la plupart bénévoles, ils utilisent un matériel de récupération et leurs propres téléphones portables.

Pourtant, Lakome.com revendique aujourd’hui 60.000 visiteurs par jour en moyenne dans sa version arabophone, et plus de 10.000 pour la francophone, qui n’a pas encore un mois d’existence. Des scores d’audience appréciables au moment où la diffusion de la presse papier s’effiloche dangereusement, minée par l’autocensure —quand elle ne verse pas dans la propagande d’Etat ou le populisme.

Il faut dire que le régime, qui a toujours recours à l’emprisonnement des journalistes réfractaires —systématiquement taxés de nihilistes par le porte-parole du gouvernement et les médias officiels—, utilise des armes encore plus dissuasives pour sévir: fermeture pure et simple des journaux, amendes colossales, menace d’interdiction d’exercer, ou encore boycott publicitaire. Pour faire court, la presse d’investigation a disparu. A quelques rares exceptions, c’est le règne de la complaisance et du non-dit qui prévaut.

Une ligne inspirée du people’s advocacy

Contre les tabous persistants, Lakome.com a fait le choix d’enquêter et d’informer librement avec une réactivité qui fait son succès. «Notre objectif est de ravir dans les deux ou trois mois la place de leader des médias sur Internet au Maroc», avance Anouzla, qui espère détrôner son rival Hespress, hébergé comme lui au Canada, et qui compte plus de 350.000 visiteurs par jour.

«A la différence d’Hespress, nous adoptons une ligne éditoriale claire, garante de notre crédibilité», ajoute-t-il, regrettant que de nouveaux sites comme Hibapress, lancé par des jeunes de Guercif, ne respectent pas les droits d’auteur en republiant les articles de leurs confrères sans autorisation. Il s’identifie plus à Goud.ma, autre nouveau-né sur la Toile, et géré lui aussi par des journalistes professionnels.

L’expérience de Lakome.com, que son fondateur s’amuse à qualifier de «petit WikiLeaks marocain», rappelle celle du défunt Journal Hebdomadaire qui n'avait en son temps jamais fait preuve de complaisance avec le pouvoir. Lancé avec peu de moyens en 1997, deux ans avant la fin du règne de feu Hassan II sur fond d’ouverture de la monarchie, l'hebdomadaire allait symboliser, bien au-delà des frontières du royaume, le «printemps médiatique» des années 2000.

La version française de lakome.com est d’ailleurs pilotée depuis l’étranger par Aboubakr Jamaï, ancien directeur et co-fondateur du Journal Hebdomadaire. Il avait participé au tour de table d’Al Jarida Al Oula, le quotidien arabophone d’Ali Anouzla qui a lui aussi avait subi les foudres de la censure, avant de disparaître à son tour. La publication avait notamment défrayé la chronique dans l’affaire dite du rotavirus, en référence à une maladie contractée par le roi et qui a fait les choux gras de la presse en 2009.

«Nous vivons aujourd’hui des moments similaires et peut-être plus intenses que ceux qui prévalaient à la fin du règne de Hassan II avec ce qui se passe chez nous, et plus généralement dans le monde arabe», reconnaît Anouzla.

«C’est le moment opportun pour faire renaître de ses cendres la liberté de parole que nous avions perdue. Il faut de nouveau hausser le ton!»

Mieux, il défend le concept anglo-saxon du people’s advocacy pour être l’aiguillon des revendications du peuple dans son combat pour les libertés:

«Nous avons un journaliste qui défend la cause amazigh, d’autres qui appartiennent au Mouvement du 20 février à l’origine des manifestations pour un changement de régime et du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), notre ingénieur système est islamiste et notre responsable technique est gauchiste.»

Pour preuve, la composition de sa rédaction, constituée de militants de tous bords et d’éditorialistes de renom comme le vétéran Khalid Jamaï, le journaliste, romancier et homme de théâtre Driss Ksikès, le caricaturiste Khalid Gueddar ou des plumes appartenant à la jeune génération d'activistes comme Najib Chaouki, Omar Radi et Aziz El Yaâkoubi.

Ali Amar

Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

Ses derniers articles: Patrick Ramaël, ce juge qui agace la Françafrique  Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey  Maroc: Le «jour du disparu», une fausse bonne idée 

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