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Kharja (Maroc) et Boutabout (Algérie) se disputent la balle en quart de finale lors de la CAN 2004 à Sfax. REUTERS/Radu Sigheti
Kharja (Maroc) et Boutabout (Algérie) se disputent la balle en quart de finale lors de la CAN 2004 à Sfax. REUTERS/Radu Sigheti

«Nous vaincrons sur leurs terres, Inch’Allah!»

Pour les Marocains, une victoire des Lions de l’Atlas sur les Fennecs le 27 mars à Annaba effacerait la grande défaite de 1979. Un match qui déchaîne les passions, bien au-delà du sport.

 

(Mise à jour. Le match Algérie-Maroc disputé le 27 mars à Annaba (Algérie), dans le cadre de la 3è journée (groupe D) des éliminatoires de la Coupe d'Afrique des nations (CAN-2012) de football a été remporté 1 à 0 par les Fennecs. Les Algériens ont transformé un penalty qui leur a permis de l'emporter sur les Lions de l'Atlas)

 

Aziz, 20 ans, a calé l’autoradio de son taxi casablancais sur la fréquence de Radio Mars, l’antenne sportive la plus écoutée du moment.

«Je suis féru de football, mais ce sont surtout les préparatifs du prochain Algérie-Maroc que je suis assidûment depuis plus d’un mois», explique-t-il, les yeux pétillants de ferveur.

La dernière fois qu’il a eu à vivre ce classique parmi les classiques du football nord-africain, Aziz n’avait que 13 ans. Il s’en souvient à peine. Le dernier grand derby maghrébin s’est déroulé à Sfax en 2004, à l’occasion d’un quart de finale de la Coupe d’Afrique des nations disputée en Tunisie, où les Marocains s’étaient imposés 3 buts à 1 contre les Fennecs algériens, leurs rivaux de toujours. Pour lui comme pour la presse, le Maroc part favori, compte tenu de son palmarès.

Annaba détrône Benghazi

Dans les cafés populaires, les yeux sont de moins en moins rivés sur les écrans de télévision qui diffusent en boucle les images de la guerre en Libye. Les pages sportives des journaux locaux ont désormais plus de succès qu’Al-Jazeera, et Annaba, où se jouera dimanche le 23e Algérie-Maroc de l’histoire, a détrôné Benghazi dans les discussions enflammées.

«On s’attend à une bataille en Algérie», titrait un journal, reprenant une déclaration de Youssef Kharja, le capitaine des Lions de l’Atlas. Ce vocabulaire guerrier résume à lui seul l’appréhension des supporters de l’équipe nationale, à la veille d’un match choc comptant pour les qualifications à la Coupe d'Afrique des nations 2012, qui aura lieu dans moins d’un an au Gabon et en Guinée équatoriale. C’est LE match à ne pas perdre. Les deux formations doivent impérativement le gagner, au risque sinon de compromettre leurs chances de participer au rendez-vous des grandes équipes d’Afrique.

Si l’historique de leurs rencontres footballistiques n’a pourtant jamais enregistré de violences majeures —que ce soit les compétitions entre clubs ou bien entre les équipes nationales— ce match, qui ne devrait pas a priori déroger à la règle, exacerbe la ferveur patriotique.

La revanche de 1979

«Nous allons les laminer chez eux et enterrer une fois pour toutes la défaite à domicile de 1979», s’exclame, revanchard, un vieil homme occupé à remplir sa grille de Loto sportif. Il faut croire que le souvenir pénible de la défaite mythique (1 but à 5) contre les Fennecs au Stade d’Honneur de Casablanca pour le compte des éliminatoires des Jeux olympiques de Moscou, hante encore les esprits. A l’époque, le roi Hassan II avait limogé tout le staff technique et exigé la constitution d’une nouvelle équipe. Après cette défaite, le public marocain avait longuement applaudi les joueurs algériens, bien que durant cette période la situation politique entre les deux pays était plus que tendue.

«On ne peut pas parler de "revanche de 1979", parce que la plupart des jeunes supporters marocains n’ont pas souvenir de cette défaite», relativise un internaute.

En effet, Aziz, le jeune chauffeur de taxi, avoue du bout des lèvres n’en avoir que vaguement entendu parler.

Plus récemment, pour Mohammed VI, féru de sport, la déconfiture de l'équipe nationale de football lors des dernières Coupe d'Afrique des nations et Coupe du monde a été vécue comme un affront personnel, lavé partiellement lorsque le royaume a obtenu l’organisation de la Coupe d’Afrique de 2015.

Les relations entre la monarchie et le football ont toujours été tumultueuses, et le roi s’implique personnellement pour réformer un sport aux enjeux politiques majeurs. Mieux, certains observateurs estiment que le printemps arabe qui touche autant le Maroc que l’Algérie pourrait attiser la colère de la rue du pays qui perdra ce match.

Eric Gerets, l’entraîneur belge du Maroc, tente quant à lui d’adoucir les passions en martelant à la presse que cette rencontre au sommet «n'est qu'un match de football et ne doit pas sortir de son cadre sportif», faisant allusion à la tension qui caractérise souvent ce genre de confrontations entre les deux pays. C’est aussi un test décisif pour cette ancienne gloire du football international —considéré comme le Messie— après la non-participation du Maroc à la première Coupe du monde du continent noir, et dont le recrutement à prix d’or a été l’objet d’une intense polémique.

«Deux peuples frères»

«L’équipe d’Algérie n’a plus gagné à Annaba depuis 1999. Elle espère cette fois-ci conjurer le mauvais sort avec le soutien d’un public connaisseur, mais chauvin. Pour rappel, 60.000 inconditionnels de l’équipe d’Algérie garniront les tribunes du stade pour un duel fratricide qui tiendra certainement toutes ses promesses», relate l’envoyé spécial de Radio Mars à Annaba.

Aziz écoute religieusement le commentateur sportif. Accroché à son rétroviseur, un fanion rouge frappé de l’étoile verte se balance.

«Nous sommes deux peuples frères; je suis un vrai patriote, mais la politique ne m’intéresse pas. Je préfère évaluer la force des deux équipes et me faire mon propre pronostic. Nous vaincrons sur leurs terres, j’en suis sûr; Inch’Allah!»

Pour se convaincre de la fraternité qui unit Marocains et Algériens, Aziz rappelle:

«Nous avons soutenu nos cousins algériens contre l’Egypte lors du Mondial sud-africain, les violences qui les ont opposés sont inimaginables entre nous».

En 1998, les supporters algériens avaient fait de même pour le Maroc lors de la Coupe du monde en France. Ce fut aussi le cas en 2004 en finale de la Coupe d’Afrique face à la Tunisie, alors que les Lions de l’Atlas avaient sorti l’équipe algérienne au tour précédent.

Pourtant, sur la Toile, à part de rares vœux pour que l’on assiste à une fête maghrébine du ballon rond, c’est un tout autre ton que l’on retrouve. Les innombrables forums de footeux se transforment rapidement en terrain d’invectives où le fair-play n’a plus sa place, et où tous les coups sont permis. Un vrai jeu de massacre.

«Algéchiens!», «Marocons!», «esclaves du roi, baiseurs de main!», «colonisés de la France, assassins d’enfants!» sont quelques-uns des noms d’oiseaux que s’échangent les internautes des deux bords. Les Marocains y traitent leurs voisins de «barbares qui ne savent pas faire la queue pour acheter les tickets du match», faisant référence à la cohue devant les guichets du stade d’Annaba qui a fait plusieurs blessés jeudi 24 mars 2011.

Les messages de haine se cherchent même des références historiques montées en épingle par la surenchère nationaliste des médias publics: fermeture des frontières depuis 1994, conflit du Sahara Occidental, guerre des Sables de 1963, bataille d'Isly en 1844…

Le sport est ainsi vite relégué au second plan pour les va-t-en-guerre d’Internet qui rappellent que le risque de voir le chaudron de la Coquette se transformer en arène de guerre le 27 mars n’est pas totalement exclu.

Ali Amar

A lire également sur ce derby tant attendu, «Du foot, et rien que du foot», du journaliste algérien Akram Belkaïd.

Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

Ses derniers articles: Patrick Ramaël, ce juge qui agace la Françafrique  Ce que Mohammed VI doit au maréchal Lyautey  Maroc: Le «jour du disparu», une fausse bonne idée 

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