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L'ambassadeur russe qui aimait trop Kadhafi

C’est un «homme intelligent». Vladimir Tchamov affiche un profond respect à l’égard de Mouammar Kadhafi, qu’il a côtoyé de près en tant que représentant plénipotentiaire russe en Libye depuis octobre 2008.

Nommé à Tripoli par le président russe Dmitri Medvedev, il a été démis de ses fonctions en pleine disgrâce, «pour incompétence» et «représentation inefficace des intérêts de la Russie dans le conflit en Libye». Tchamov a été limogé à la veille du vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 17 mars 2011, qui a autorisé l’intervention militaire en Libye pour protéger la population civile. La Russie n’avait pas usé de son droit de véto et s’était abstenue.

La faute de Tchamov: avoir envoyé un télégramme au chef de l’Etat russe pour exprimer sa désapprobation sur la position de Moscou. Il raconte son geste au quotidien Moskovski Komsomolets (MK):

«J’ai écrit que je représentais les intérêts de la Russie en Libye. Ces derniers temps, nos deux pays s’étaient engagés dans une coopération étroite et il n’est pas dans l’intérêt de la Russie de perdre un tel partenaire. Les compagnies russes ont conclu des contrats très avantageux s’étalant sur plusieurs années et valant des dizaines de milliards d’euros. Nous risquions de les perdre et les avons désormais perdus. En ce sens, on peut considérer qu’il s’agit d’une trahison des intérêts de la Russie.»

De retour de Libye, via Istanbul, l’ex-ambassadeur russe Vladimir Tchamov a été accueilli à l’aéroport moscovite de Cheremetievo dans une effervescence inhabituelle pour ce diplomate de carrière. Malgré l’heure tardive, une foule l’attendait, dont des journalistes, des blogueurs et certaines personnes lui ont même offert des fleurs.

Le blogueur russe Detnix, général du FSB (ex-KGB) à la retraite selon le journal MK, a lancé un appel pour recevoir comme il se doit le diplomate dont il admire l’attitude:

«Nous avons encore de vrais hommes! Tant qu’ils seront là, nous ne disparaîtrons pas. Cet homme sait vraiment beaucoup de choses et est semble-t-il prêt à dire la vérité.»

Répondant aux questions de MK, Tchamov brosse un portrait élogieux du Guide libyen qui selon lui n’a rien d’extravagant:

«Il ne faut pas oublier que cet homme a chassé les Américains de la base aérienne de Wheelus Field en Libye [aujourd’hui aéroport de Milaga, près de Tripoli] dans les années 1970 durant la révolution. Ils ne lui ont jamais pardonné. Il est parfaitement conscient de la situation. Quand nous nous sommes vus la dernière fois, il était calme et comprenait ce qu’il faisait.»

Tchamov dit avoir consulté régulièrement Kadhafi: «Nous discutions assez souvent. Il m’a invité, avec les ambassadeurs chinois et indiens la semaine passée et nous a demandé d’expliquer les positions de nos pays respectifs.»

Selon lui, «dans la libye de Kadhafi, les citoyens avaient accès à des crédits à taux zéro sur 20 ans pour la construction de logement, à un litre d’essence très bon marché, à une alimentation qui ne coûtait quasiment rien, et pouvaient acquérir une nouvelle Jeep coréenne KIA en sept ans avec 500 dollars. Aujourd’hui, ce pays n’existe plus».

Combien de temps Kadhafi peut-il tenir?

«Trois à quatre mois. C'est-à-dire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de provisions en stock. Actuellement, toutes les livraisons par air et par mer sont bloquées.»

Mais après le regretté colonel Kadhafi, l’ex-ambassadeur Tchamov pourra se consoler auprès d’un autre homme qu’il admire tout autant pour avoir qualifié l’intervention de la coalition internationale en Libye de «croisade», à savoir le Premier ministre russe Vladimir Poutine.

«Ce qui me plaît particulièrement chez Vladimir Vladimirovitch, c’est qu’il donne une appréciation très courte et précise. Je crois qu’il n’est pas loin de la vérité.»

Lu sur Moskovski Komsomolets, Ekho Moskvy