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Le sentiment anti-français, une arme politique en Tunisie
«Dégage, la France!» Un slogan entendu lors des dernières manifestations pro-Ennahda, première force politique en Tunisie.
Pouvons-nous pour autant parler d’une émergence du sentiment anti-français en Tunisie?
Vincent Geisser, sociologue et chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, interrogé par le site Atlantico, inscrit ce sentiment anti-français dans l’histoire longue de la Tunisie.
A chaque crise politique avec l’ancienne puissante coloniale, une partie de l’intelligentsia et des acteurs politiques est accusée de servir les intérêts de la France. Leur sobriquet: «hazb al franca», le parti de la France.
«Le premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba, pourtant francophile et francophone (il fut même marié à une Française) a recouru plusieurs fois au sentiment anti-français, notamment au moment de la crise de Bizerte (1961), afin de créer un réflexe d’unité nationale. Le président Ben Ali lui-même, alors considéré comme l’allié n°1 de la France au Maghreb, a tenté à plusieurs reprise d’agiter les passions anti-françaises», illustre le chercheur.
Il serait vain de vouloir circonscrire ce sentiment anti-français à un courant politique. Il traverse tous les pans de la société tunisienne, explique le sociologue. Et les acteurs politiques savent manifestement user de ce levier pour dépasser les lignes de divergences politiques et créer l’unité autour de leur discours.
Car «dénoncer la France, c’est faire coup double: critiquer l’héritage colonial et mettre en garde contre l’ingérence de l’Occident dont la France est supposée être l’un des représentants», explicite le chercheur.
Récemment, les Nahdaouis ont usé de la rhétorique après que le ministre français de l’Intérieur Manuel Valls a dit avoir observé la montée d’un «fascisme islamique» en Tunisie, en Libye et en Egypte.
«La déclaration du ministre français de l’Intérieur a été vécue comme une forme d’ingérence dans la vie politique tunisienne. Si la critique des islamistes est perçue comme légitime par les opposants laïques, elle est parfois traitée avec suspicion lorsqu’elle est produite par un acteur étranger, notamment occidental», a remarqué Vincent Geisser.
Lu sur Atlantico
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