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Goodbye Morocco ou la quête d'une libération féminine qui ne vient pas
Dans son dernier film, le réalisateur algérien Nadir Moknèche joue avec les codes du film noir.
L’horizon se referme sur elle. Figée, derrière ses lunettes mouches noires, Dounia espère partir. Traverser la Méditerranée. Car Tanger, ce port proche des Açores, est une ville où Dounia Abdallah (Loubna Azabal) ne peut plus voir son fils librement, sans avoir l’autorisation de son ex-mari.
Divorcée, ayant perdu la garde de son enfant, elle vit avec un architecte serbe (Rasha Bukvic) à Tanger et dirige un chantier immobilier où sont découvertes des tombes chrétiennes du IVe siècle ornées de fresques, dont une orante.
Aussi, elle espère que l’argent amassé par le trafic de pièces archéologiques lui permettra de mettre les voiles, son fils sous le bras. Mais la mort d’un ouvrier clandestin nigérian, Gabriel (Ralph Amoussou), fait chavirer le projet et brise sa relation d’enfance avec Ali (Faouzi Bensaïdi).
Ali, c’est l’homme qui l’emmène en voiture, il adore la conduire, faire son chauffeur. La voiture est certainement le lieu où il se sent le plus proche d’elle. Dans les coulisses de sa vie. Et c’est dans cette même voiture que Dounia et Ali feront l’amour, un soir, après avoir jeté à la mer le corps de l’ouvrier mort sur le chantier.
Une femme hors système
Scandaleuse, libérée, Dounia Abdallah exerce un pouvoir sur les hommes, sur les ouvriers qu’elle dirige, sur sa vie.
Dans la première séquence du film, elle apparaît vêtue d’un gilet qui recouvre à peine sa poitrine et ses jambes longilignes. Nue, une cigarette posée sur le bout des lèvres, elle incarne une dureté fragile.
Dounia n’a pas eu une vie facile. Elle a fait des choix qui remettaient en cause l’ordre social, comme celui de quitter son mari. Une libération temporaire, car très vite l’ordre établi la rattrape et l’empêche de mener sa barque comme elle l’entend.
«Dounia Abdallah est intelligente, indépendante financièrement, elle vit avec l’homme qu’elle aime. Mais le système est bloqué, remarque le réalisateur Nadir Moknèche. Elle n’arrive pas à le contourner. D’une manière sournoise, la pression sociale, la loi, les règles finissent par condamner les projets de Dounia. Si elle a envie de s’allonger sur une plage toute nue, elle devrait être libre de le faire. Sauf qu’elle ne l’est pas.»
Nadir Moknèche se dit pessimiste quant à l’évolution des droits des femmes dans le monde arabe. Il le montre dans son film: le système a été est plus fort que Dounia Abdallah. Mais inconsciemment Nadir Moknèche a crée un personnage féminin qui a une résonance dans une région où de nombreuses femmes luttent contre le carcan social conservateur assigné aux femmes.
Une Tunisienne, une Egyptienne, une Algérienne pourrait vivre la même chose que Dounia. La garde des enfants après un divorce, la liberté sexuelle, le droit d’épouser un non-musulman, représentent encore des enjeux de de taille pour les féministes.
«La femme demeure un sujet obsessionnel dans le monde arabe. Je suis conscient que son personnage peut prendre cette ampleur. Loubna, elle-même, en parlait lors du tournage. Elle se révoltait. Comment une femme moderne, aisée, peut-elle être ainsi freinée? Que se passe-t-il?»
Un passé non assumé
Par petites touches, de manière quasi-suggestive, Nadir Moknèche aborde également d’autres thèmes cruciaux comme le racisme des Marocains à l’égard des Subsahariens, l’homosexualité, la corruption. Sans toutefois y apporter plus de profondeur.
En revanche, un élément largement constitutif du drame, parcourt avec force tout le film: celui du passé non assumé.
La fresque de l’orante vient bousculer un pays qui nie son passé pré-islamique. Le passé esclavagiste n’est pas questionné et le rapport aux bonnes et aux noirs africains demeurent imprégné de la relation maître-esclave.
Dounia et Ali n’assument également pas leur passé. Ali a été à la fois le fils de la bonne et le confident de Dounia. Une relation ambiguë que les deux protagonistes n’assument pas. Ali est son chauffeur, son homme à tout faire. Toujours fidèle, toujours serviable. Jusqu’au jour où ce passé non assumé vire au drame passionnel.
Nadéra Bouazza
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