mis à jour le

Kuku, le chanteur-soldat nigérian de la paix
Il existe des chansons qui vous marquent au fer rouge. Des airs que l'on fredonne inconsciemment. Et des artistes qui apaisent. Kuku, ex-soldat dans l'armée américaine et désormais chanteur est de cette trempe. Rencontre.
Quand il entonne les premières notes de sa chanson Nigeria, plus un souffle, plus un bruit ne se fait entendre dans cette salle parisienne bondée du XVIIIe arrondissement.
Un silence religieux qui est uniquement transpercé par la voix puissante et chaude de Kuku.
Le public, d'un seul tenant, se penche en avant, suspendu à sa voix, les yeux rivés sur lui.
Grand et imposant, béret vissé à la tête et grosses lunettes dévorant à moitié son visage, Kuku fascine son auditoire.
Swala et son amie salvadorienne Beatriz, deux étudiantes aux allures rock, le suivent à chacun de ses déplacements.
—«C'est une rencontre musicale magique», déclare Swala.
—«Sa voix, son feeling, j'adhère totalement», ajoute Beatriz.
«J'ai fait 70 bornes pour être là», annonce, quant à elle, Maryse, une dynamique trentenaire aux cheveux courts.
Maryse a découvert Kuku sur Internet, et depuis elle est devenue une amatrice incontestée de l'artiste.
«Sa voix me donne des frissons, et je le trouve très accessible», révèle-t-elle.
Et pour cause, l'un des leitmotiv de Kuku est de considérer ses fans comme sa famille. Il les appelle d'ailleurs affectueusement «Fams», une contraction de fan et famille.
«Je n'aime pas la distance qui existe entre un artiste et ceux qui apprécient sa musique», indique-t-il de sa voix grave.
Une sorte d’idolâtrie qu'il rejette. Il aime à penser que lors d'un concert, il est entouré de sa bande d'amis et des membres de sa famille. Rien ne le prédisait à un avenir de chanteur.
De Miami à Washington en passant par Lagos
Kuku, de son vrai nom Abdulzatar, Adebola, Abisoyer... est un descendant des Baloguns (général de l'Armée royale). Un titre royal, que sa famille originaire d'Ijebu Ode, dans l'Etat d'Ogun au Nigeria, porte depuis des siècles.
Né à Miami, il y a 37 ans, il part alors qu'il n'a que deux ans vivre à Lagos, au Nigeria. Là-bas, il se nourrit des classiques de la musique traditionnelle yoruba de même que de soul musique américaine, reggae, musique country et musique du monde.
En 1993, âgé de 18 ans, il retourne chez l'Oncle Sam pour poursuivre ses études.
«J'ai étudié dans une université en Virginie où je me suis spécialisé dans le graphisme. Je faisais en même temps un stage», se remémore-t-il.
Puis pour payer ses études et devenir plus indépendant, il s'engage à 21 ans dans l'armée. Soldat, il l'a été... mais dans un genre administratif. Loin de l'image d'Épinal du soldat armé jusqu'aux dents.
«J'avais un titre prétentieux à rallonge dans la logistique pour une fonction pas si glorieuse que ça», blague-t-il.
«J'étais assis dans un bureau devant un ordinateur. J'étais chargé de la logistique et du réapprovisionnement de matériel. J'étais puissant là-bas à cette époque, rigole-t-il. On se montrait très révérencieux envers moi», plaisante encore Kuku.
De l'armée à la chanson, il n'y a qu'un pas
«Je ne voulais pas être sur le terrain. On vit dans des tentes, on s'entraîne dans les bois. Les soldats ne peuvent pas prendre de douche tous les jours. Je ne voulais pas endurer ce genre de vie. J'aime trop me laver», rigole-t-il.
En outre, les immenses douches du camp, où il résidait, représentent les premières scènes publiques de Kuku.
«Je chantais beaucoup sous la douche, surtout du R&B, du Brian McKnight. Mes camarades m'exhortaient à la fermer où à continuer selon leurs humeurs», se rappelle-t-il.
Kuku restera quatre ans au sein de l'armée. À 24 ans, il entame sa nouvelle vie.
«J'ai eu ensuite un job de freelance dans le graphisme. Je me suis acheté une nouvelle jeep, une maison en Virginie.»
C'est l'époque de la désinvolture: les sorties en boîte de nuit avec ses comparses, la coquetterie et plus de liberté par rapport à l'armée. La musique toujours omniprésente, mais pas encore de manière professionnelle.
Une guitare à 99 dollars
C'est une dispute avec sa petite amie de l'époque qui conduit Kuku à se jeter corps et âme dans la musique. Fatigué des cris, il sort et s'achète sur un coup de tête une guitare acoustique.
«Je me rappelle exactement de la date, c'était le 27 mai 2002. La guitare coutait 99 dollars. C'était une petite guitare.»
C'est la renaissance de Kuku. Son approche de l'instrument, bien avant la technique, est passée par le toucher, les sons, l'improvisation.
«J'ai pris l'habitude de me rendre dans des magasins de musique, il y a toujours des gens qui testent les guitares et je leur demandais de me montrer quelques trucs. J'ai regardé sur Internet comment faire; voilà, en gros, comment j'ai appris à jouer de la guitare.»
Kuku se jette ensuite à l'eau dans de petits concerts où il doit faire ses preuves.
«Tous les lundis, à Washington DC, je jouais au Bar Nun. Je suis timide, mais mon désir de partager était plus fort que ma réserve. C’est la belle époque», sourit-il.
En juillet 2007, après une série de concerts en solo à travers les Etats-Unis, Kuku enregistre son premier album The Absence of Cool. Le succès aidant, son deuxième album Love in Time of Hope and Recession, réalisé en collaboration avec le banjoïste Joe Sticky Mulligan Smith, sort en 2009.
Soldat de la paix
Son tout dernier bébé, Soldier of Peace (soldat de la paix), tisse un lien indéniable entre ses racines africaines et ses influences occidentales en mélangeant des paroles en yorouba et en anglais.
Surnommé l’«Homme médecine de la musique africaine», il aborde dans ses chansons des thèmes tels que la paix, l'amour universel, mais aussi la philosophie:
«J'aime beaucoup la philosophie, ça aide les gens à penser, à s'élever et à se transcender. En revanche, j'abhorre la politique, mais je me tiens au courant. D'ailleurs dans certaines de mes chansons je m'inspire de l'actualité. Ce ne sont pas des chansons politiques, plutôt des chansons humaines.»
Vivant entre les Etats-Unis et la France, Kuku s'est produit en décembre 2012 à Lagos.
«Je me sens très concerné par ce qui se passe au Nigeria, notamment avec Boko Haram (secte islamiste qui sème la terreur dans le nord du pays) qui se base sur la religion. Je pense qu'il y a une mésinterprétation de la religion, c'est des tueries qui n'ont aucun sens», se désole-t-il.
Est-il inquiet pour sa famille qui vit dans le nord.
«Mon grand frère est instituteur à Abuja. Je ne crains pas trop pour ma famille, nous avons du sang de guerrier au regard de nos ancêtres», sourit-il.
Et d'ajouter:
«Je suis chez moi au Nigeria. Surtout à Lagos, car c'est l'unique endroit au monde où la majorité du public peut comprendre et apprécier les nuances de mes paroles en yoruba, en pidgin (un mélange de l'anglais et des langues locales), et en anglais.»
Retourner au Nigeria, même le temps d'un concert, c'est renouer avec ses racines.
«Le Nigeria et la culture yorouba sont profondément ancrés en moi. Le Nigeria est le berceau de ma culture et tient une place importante dans mon cœur.»
Tout comme l’Afrique, même s’il n’a pas encore eu l’opportunité de se rendre dans d’autres pays du continent. L’artiste prête d’ailleurs sa voix dans une publicité pour la Coupe d’Afrique des nations 2013. Il chante une reprise du légendaire hymne du Club de football de Liverpool You’ll Never Walk Alone.
Maïmouna Barry
A lire aussi
Fela, l'incontournable roi de l'afrobeat