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Le Bénin touché par le mal ivoirien
Quelques jours après l'élection, le Bénin a deux présidents: Boni Yayi et Adrien Houngbédji. Le «berceau de la démocratie» en Afrique suit aujourd'hui le "modèle" de la Côte d'Ivoire.
Cité en exemple il y a quelque temps encore comme le «berceau de la démocratie» en Afrique, le Bénin a vécu ces cinq dernières années une expérience qui marque plutôt une nette régression démocratique.
En témoigne la situation de grave crise postélectorale qui plonge aujourd'hui le pays dans un climat délétère sans précédent après le premier tour de l'élection présidentielle du 13 mars 2011. Comme en Côte d'Ivoire, un pays qui a deux présidents en attendant l'analyse des recours et la proclamation définitive du verdict des urnes par la Cour constitutionnelle. Pour l'heure, le président sortant Boni Yayi a obtenu 53,1% des voix contre 35,65% à son rival Me Adrien Houngbédji.
Me Adrien Houngbédji a qualifié ces résultats de «nuls et non avenus» et n’a pas tardé à s’autoproclamer nouveau président élu de la République du Bénin. En appelant à la mobilisation le peuple béninois pour faire échec à ce que la coalition qui le soutient considère comme un hold-up électoral.
Son discours a été suivi par des consultations pour la formation de son gouvernement, en attendant le verdict définitif de la Cour constitutionnelle. Mais puisque Me Robert Dossou, le président de cette institution, est un proche de Boni Yayi, les Béninois dans leur ensemble se préparent résolument à vivre une situation à l’ivoirienne. Même si, avant cette présidentielle, Me Robert Dossou s'était défendu sur les antennes de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB) contre des accusations de jouer le jeu du régime au pouvoir:
«J’ai été militant. J’ai aidé des exilés, mais le militant suit une cause, pas un homme. Est-ce qu’on m’a vu tremper dans une magouille?»
La naissance de la démocratie
A la fin des années 80, le Bénin s’est magistralement illustré en mettant un terme de manière pacifique à dix-sept ans de régime dictatorial du général Mathieu Kérékou fondé sur le marxisme-léninisme. Ironie de l’histoire, ce sont les mouvements estudiantins qui en sont à l’avant-garde sous la houlette d’un certain Parti communiste du Dahomey (PCD).
La lutte du peuple menée depuis 1985 contre le régime du Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB) aboutit alors à la Conférence nationale souveraine de février 1990. Une conférence de toutes les forces vives de la nation dont la souveraineté suspend, de facto, la loi fondamentale. Le PCD, qui ne croit pas en un dialogue productif avec le pouvoir, refuse d’y participer. Mais contre toute attente, les participants à ces assises trouvent un consensus national sur les nouvelles orientations politique, économique et sociale basées sur les principes du multipartisme intégral et de la démocratie.
Des transitions sur le modèle béninois
A travers l’Afrique, des pays comme le Niger, le Mali, le Congo, la République démocratique du Congo, le Burkina, le Centrafrique, le Togo, le Tchad, le Gabon ont emboîté l’exemple béninois en organisant des transitions démocratiques au moyen de conférences nationales ou d’élections pluralistes. Lors d’une conférence le 18 janvier 1994, à l’université de Toulouse I, en France, sur la transition démocratique en Afrique, le professeur Abdou Moumouni Dioffo de l’université de Niamey a déclaré:
«Les démocrates et hommes de progrès béninois ont donné l’illustration la plus éclatante du rôle moteur de la revendication démocratique intérieure. Pionnier en la matière, le Bénin a, en effet, organisé en février 1990 –bien avant le Sommet France-Afrique de La Baule– sa Conférence des forces vives de la nation, ouvrant ainsi la voie aux Conférences nationales souveraines qui constituent l’un des modèles de la transition démocratique.»
Depuis le début de ce qu’on a baptisé au Bénin le «renouveau démocratique», le pays a organisé en 1991 sa première présidentielle en inventant au passage, pour la première fois aussi, une Commission électorale nationale autonome (Cena) indépendante du ministère de l’Intérieur pour des raisons de transparence. Se sont ensuivies celles de 1996, de 2006 et de 2011 sans difficulté.
Le «laboratoire de la démocratie»
Pendant les quinze premières années d’expérience démocratique, le Bénin (ancien Quartier latin de l’Afrique) a été baptisé le «laboratoire de la démocratie» en Afrique. A cause de son modèle démocratique exemplaire. Et pour cause, la liberté de presse et la liberté d’expression sont devenues des réalités patentes. Premier journal indépendant, La Gazette du Golfe a été en matière de presse en Afrique ce que la Conférence nationale souveraine a été en matière politique.
Malheureusement, la démocratie béninoise n’a pas réussi sinon à éradiquer, du moins à juguler la mal gouvernance des dirigeants alors que des citoyens de plus en plus conscients sont devenus exigeants. A la suite des régimes de Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou, c’est de cette déception qu’a profité Boni Yayi en 2006 pour se faire élire président. En promettant un «régime de changement» face aux candidats de la vieille classe politique que sont Me Adrien Houngbédji et Bruno Amoussou. Son slogan de campagne d’alors —«ça peut changer, ça va changer, ça doit changer»— est tout un programme qui promet de construire un «Bénin émergent». Du reste, la coalition de partis et mouvements qui le soutiennent s’appelle les «Forces cauris pour un Bénin émergent».
Retour en arrière
Cinq ans après l’élection du président Boni Yayi, son régime se révèle être pire que les précédents que beaucoup de Béninois avaient décrié pour diverses raisons. Concernant la liberté d’expression, les médias privés sont muselés par des contrats financiers ou des menaces de toutes sortes et les médias d’Etat se livrent à la langue de bois de l’époque marxiste-léniniste quand ils ne versent pas dans le culte de la personnalité. L’opposition est moult fois privée d’antenne contrairement aux dispositions légales. Les syndicats se voient, pour leur part, souvent restreindre leurs droits, notamment ceux de manifester.
Le pire, c’est que les Béninois déchantent vite sur la bonne gouvernance au nom de laquelle ils l’ont élu à une écrasante majorité de 75% au second tour en 2006. Avec des scandales financiers qui dépassent de loin ceux qu’ils reprochaient aux anciens dirigeants et une improvisation certaine dans la gestion des affaires publiques. Il y a des détournements colossaux de fonds dans l’organisation du sommet de la Communauté des Etats sahélo-saharien (CEN-SAD) au Bénin, le scandale financier à la Bernard Madoff des placements d’argent d’ICC-Services (une ONG muée en institution de microfinance) qui a partie liée dans l'entourage de Boni Yayi, la construction douteuse de l’aéroport international de Parakou (dans sa région d’origine) que l’entreprise française Colas a abandonnée pour cause d’impayés, le surendettement du pays.
A quoi il faut ajouter l’utilisation de l’argent public à des fins électoralistes avec la multiplication des institutions de microcrédits destinées à cela, avec l’appui de certaines des nouvelles églises qui champignonnent au Bénin.
En cinq ans, le régime du président Boni Yayi a multiplié des actions montrant qu’il n’était pas prêt à quitter le pouvoir. Au point de fragiliser des institutions de la République comme la Cour constitutionnelle ou la Cour suprême et de remettre en cause des acquis démocratiques issus de la Conférence nationale souveraine de 1990. La guerre de tranchées avec l’opposition quant à la réalisation de la Liste électorale permanente informatisée (Lepi), accusée dès le début de servir des fins inavouées, est en effet à l’origine du cafouillage électoral inédit autour de l'élection présidentielle de 2011.
Deux présidents autoproclamés
Le comble, c’est que la proclamation des résultats de la présidentielle s’est déroulée exactement dans un scénario à l’ivoirienne. Sauf qu'au Bénin, c’est le président sortant qui est donné vainqueur dès le premier tour. Des échauffourées ont aussi éclaté entre le président de la Cena, Joseph Gnolonfoun, qui voulait donner les résultats, et des membres de la même Cena qui voulaient l’en empêcher. En réclamant une plénière pour confronter les résultats des deux opérateurs recrutés à cet effet avant, comme l’exige le règlement intérieur de leur institution. Et il aura fallu l’intervention des forces de l’ordre pour que Joseph Gnolonfoun puisse se prononcer en face de «journalistes triés sur le volet», selon les contestataires.
Le Front des organisations de la société civile pour des élections libres, transparentes et pacifiques (Fors-Elections), une structure de la société civile qui a observé la présidentielle de façon indépendante avec l’appui des partenaires étrangers du Bénin, a, quant à elle, indiqué publiquement que «l’écart entre les deux grands challengers en tête est de 7 points». Sans pour autant dire lequel des deux est en tête. Et de poursuivre:
«Notre démocratie va mal, cette démocratie acquise très cher ne mérite pas le sort qui lui est réservé».
Cette phrase sibylline et laconique du Front des organisations de la société civile béninoise au lendemain de la présidentielle du 13 mars en dit long. Elle résume le couronnement des multiples coups de boutoir que la démocratie béninoise a subis en l’espace de quelques années seulement. Et les risques sont grands que le Bénin qui a longtemps servi de démocratie exemplaire à toute l’Afrique exporte aussi aujourd’hui sa régression démocratique partout.
Marcus Boni Teiga
Du même auteur, lire aussi: Le Bénin en proie au syndrome ivoirien?