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Le poids de la tradition et la tradition du poids
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l’Afrique n'est pas épargnée par l'obésité. Le dessinateur burkinabè Damien Glez décrypte la «transition nutritionnelle» du continent avec un dessin et un texte inédits.
Mars 2011: l’Organisation mondiale de la santé met en garde contre les dangers du surpoids dans les pays du Sud.
«Quoi? Comment?», s’étonne l’Occidental, «Le continent noir ne compterait pas que des Biafrais efflanqués par la disette?»
«Quoi? Comment?», s’insurge l’Africain, «En quoi le surpoids serait-il une menace?»
En Afrique de l’Ouest, on ne dit pas «être gros», on dit «être en forme». La corpulence féminine est à la fois canon de beauté et signe extérieur de richesse. Quand les Européennes combattent leurs rondeurs à coup de liposuccions, certaines Africaines se gavent de produits destinés à engraisser le bétail, notamment à base de cortisone ou de psychotropes. En Mauritanie, le traditionnel gavage de promises au lait de chamelle a cédé la place à la chimie d’un produit surnommé dregdreg en hassaiya.
Ici, on rabote la culotte de cheval; là, on développe ce qu’on appelle les «pistolets». Ici, on garde la ligne; là, on cultive les courbes.
Au Burkina Faso, le culte de la corpulence a conduit à l’organisation de l’élection de Miss Pog beedre (femme forte, en langue mooré). Critère de présélection défini par l’initiatrice du concours, Joséphine Fatou Djiguimdé: peser au moins 90 kilos.
Une femme trop maigre entendra circuler sur elle des rumeurs de maladie. Le mari d’une épouse grêle se verra accusé de ne pas l’entretenir comme il se doit. Les plus conscientisées au danger du surpoids feront appel au miracle du rembourrage: quelques chiffons glissés dans la culotte…
Car l’Afrique commence à prendre conscience des risques sanitaires de l’obésité. Le mot dregdreg ne signifie-t-il pas «secousses cardiaques»? Sur le continent, un tiers des femmes et un quart des hommes seraient en surpoids. Dans la zone australe, c’est la majorité des Sud-Africaines qui se dirigent vers l’obésité.
Le continent est le moins couvert par les chaînes internationales de fast-food. Pourtant, après les ravages de la sous-nutrition et de la malnutrition, il est à son tour victime de la surnutrition. Et corpulence n’est pas toujours synonyme d’opulence. L’obésité n’est plus une maladie de riches. L’épidémie mondiale touche 300 millions de personnes et l’OMS prévenait, le 16 mars dernier, que l’Afrique vivait une dangereuse transition nutritionnelle. Le nombre des obèses âgés de moins de 5 ans y est passé de 4 millions en 1990 à 13,5 millions en 2010.
Le cercle est vicieux: une femme enceinte sous-alimentée donne plus souvent naissance à des enfants au poids insuffisant, qui ont une capacité plus faible que les autres à absorber les calories. À terme, ils sont plus vulnérables à la prise de kilos. Gros d’avoir été trop maigre…
Damien Glez
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