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Intervention au Nord-Mali: gare aux dommages collatéraux!
La guerre au Nord-Mali était inévitable, car elle a été imposée par les djihadistes. Mais, il faut veiller à ce qu'elle ne se transforme pas en une guerre à l'aveuglette.
La guerre au Mali a donc connu une extension brutale en Algérie.
Le grand voisin frontalier du Mali a été entraîné au cœur de la tourmente avec l’attaque commando lancée aux premières heures du 16 janvier, contre le site BP d'In Amenas. Une importante enclave de production gazière et pétrolière située à 1.300 kilomètres au sud est d’Alger.
La prise d’otages de centaines d’Algériens et d’expatriés occidentaux a connu un dénouement tragique.
L'assaut donné par l'armée algérienne s’est soldé par la mort de plusieurs dizaines de civils majoritairement occidentaux.
Le groupe d’assaillants était constitué d’une «vingtaine d’hommes» affiliés au chef djihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar.
Ce vétéran d’Afghanistan et ancien dirigeant d’AQMI entendait obtenir «la fin de l’agression française au Mali». Mais, en ouvrant un «front en Algérie», la faction dissidente d'AQMI a propulsé l’Algérie dans la guerre au Mali.
Alger s'est pris une claque
Les «terroristes» ont à la fois défié militairement l’Algérie et menacé ses intérêts économiques vitaux, en s’attaquant au complexe gazier. Même si le commando de Belmokhtar a été presque entièrement décimé, l’attaque est un camouflet à la sécurité algérienne.
L'Algérie a, peut-être, longtemps cru que l’invasion du Nord-Mali par les djihadistes n’aurait pas de conséquences sécuritaires directes pour elle.
Pourtant, la sécurité algérienne rompue à des années de lutte contre les islamistes, aurait dû avoir en tête le rapt des Français qu'AQMI détient toujours en otages au Sahel, sur le site d’uranium du groupe atomique français Areva, à Arlit, dans le nord du Niger.
Le fiasco d’In Amenas vient s’ajouter aux fortes rumeurs en provenance de Bamako, sur des complicités algériennes qui auraient permis aux djihadistes de se procurer les 200.000 litres de carburant nécessaires à leur raid-éclair à bord de centaines de Toyota tout terrain, vers le sud du Mali.
Enfin, sur le plan diplomatique, Alger a reçu une «claque» d’Ansar Dine. C’est quelques jours après avoir accepté à Alger l’ouverture de négociations de paix avec Bamako que le mouvement djihadiste a repris les hostilités en direction du sud du pays.
Il serait cependant injuste d’accabler le gouvernement algérien. D’abord, parce qu’il a très vite apporté «son soutien sans ambiguïté» au gouvernement de transition de Bamako. Le Premier ministre de la transition malienne, Diango Cissoko, a été reçu dans la foulée à Alger, le 13 janvier.
Sur le plan militaire, Alger a ordonné la fermeture de sa frontière avec le Mali, (mais il est difficile de rendre étanche 5.000 kilomètres de bande frontalière) et ouvert son espace aérien aux appareils de combat français, dès le début de l’opération Serval.
Une neutralité désormais impossible
Il appartient maintenant à l’Algérie de choisir les modalités de sa participation à la guerre au Mali, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Mais, après l’attaque du complexe gazier, elle ne peut plus prétendre à la neutralité.
Alors que de nombreux éditorialistes algériens (avant la prise d’otages tragique du site gazier de BP) ont dénoncé en chœur la «guerre coloniale» de François Hollande au Mali, pour une fois le président algérien Abdelaziz Bouteflika a eu raison contre les éloquents ténors de la presse algéroise qui ont recouru à des arguments anachroniques et discutables.
L'intervention de l'armée française au Mali n’est en rien la perpétuation de la Françafrique. C'est un abus de langage qui n’est d’ailleurs pas propre à la seule presse algérienne.
Personne ne peut reprocher à l'Algérie d’avoir prôné longtemps la voie de la négociation avec les djihadistes. Car ce serait vite oublier que plus de 130.000 Algériens ont perdu la vie durant la guerre civile avec les islamistes du FIS et plus tard avec ses nombreux avatars comme AQMI, dans les années 1990.
L'Algérie n’est pas seule à avoir tergiversé sur la question de l’opération militaire internationale au Nord-Mali.
Eviter la confusion
Idriss Deby, en visite à Paris, courant décembre, fustigeait la «confusion» qui régnait entre la Cédéao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), le médiateur burkinabè et le gouvernement de transition chancelant de Bamako, à propos d’une intervention armée ou non au Mali.
C’est le même président tchadien qui a annoncé, le 17 janvier, une contribution de 2.000 hommes à la Force internationale de soutien au Mali (Misma).
Avec les contingents burkinabè, sénégalais, nigériens, togolais, guinéens, ce sont plus de 4.000 soldats africains qui vont être commandés sur le front malien par un général nigérian.
On peut déplorer la lenteur de leur déploiement, près d’une semaine seulement après le début de l’opération Serval.
C’est aussi la conséquence du sous-équipement et du manque de réactivité des armées africaines. On a aussi tout dit, sur la responsabilité des élites politiques et militaires maliens dans la tragédie que connaît le Mali, depuis près de dix mois.
Le coup d'Etat du 22 mars du capitaine Sanogo a surtout été le révélateur dramatique d’une crise profonde politique au Mali derrière les habits d’une démocratie consensuelle.
En Europe, tout le monde a souligné le manque de réactivité de la cheffe de la diplomatie européenne. Le Parlement européen qui a voté cette semaine une motion de soutien à l’action du président François Hollande au Mali a aussi violemment dénoncé les silences de Catherine Ashton.
Les Etats-Unis et la Grande Bretagne vont renforcer leur soutien logistique, de ravitaillement en vol et de surveillance par drones. Mais on sait aussi que Susan Rice, l’ambassadrice américaine à l’ONU, s’est peu empressée de soutenir les demandes de résolutions de la France ou de l’Union africaine sur la force africaine au Mali.
Le principal travers de l’ex-future secrétaire d’Etat de Barack Obama avec l’Afrique est d’avoir des idées bien arrêtées sur le continent. Elle était jusqu'à railler le plan d’intervention militaire que l’Union africaine avait présenté, avec l’aide de la France, au conseil de sécurité de l’ONU.
L’histoire lui a donné tort. Car sans la détermination du président français, l’armée malienne n’aurait pas résisté au rouleau compresseur des forces djihadistes coalisées d’Ansar Dine, d’AQMI et du Mujao.
En France, avec un Jean-Luc Mélenchon qui s’attaque en permanence à la maison Hollande et l’ancien président Valery Giscard d’Estaing, Dominique de Villepin est l’un des rares leaders politiques à ne pas faire bloc derrière François Hollande. Alors que 75% des Français l’approuvent.
Les risques et les dangers de l'opération Serval
Dans une tribune publiée le 13 janvier par l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche, l'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin admettait «l’urgence» d’une réaction au raid-éclair des djihadistes et craignait dans le même temps «une guerre à l’aveuglette, faute de but de guerre».
Plus personne ne nie la justification de l’intervention contre les groupes terroristes. Personne ne peut non plus nier sa légalité, puisqu’elle se fonde sur des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
Comme toute guerre, celle que mène la France au Mali en comporte de nombreux risques et dangers. Mais, il fallait les prendre.
Sur le plan militaire, il y a les risques d’enlisement, de «guerre des sables», de «guerre de longue haleine». Certains experts prédisent même «un piège politique et militaire pour François Hollande».
Tout ceci n’est pas à négliger. Comme il ne faut pas négliger les alertes lancées par l’ONU, la CPI, ainsi que de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ou humanitaires sur les graves risques auxquels sont exposées les populations civiles des zones de la guerre au Mali. Mais, la guerre était inévitable, car elle a été imposée par les djihadistes.
Assane Diop
Retrouvez notre dossier complet sur la crise malienne, Mali: un pays coupé en deux