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Le cruel dilemme de l'Algérie à propos du Nord-Mali
L'opération Serval place l'Algérie dans une position délicate. Ne pas la soutenir l'amènerait, de fait, à ne plus passer pour le chantre de l'anti-djihadisme dans la région.
Deux ou trois images, un drone, une info et c’est la réactivation de la dernière douleur connue par les Algériens: la colonisation française.
Etrange destin: les Algériens, presque tous, regardent l’intervention de la France au Sahel comme une sorte d’encerclement du pays par l’ancien colonisateur: en Libye déjà sous couvert de l’OTAN, au Maroc depuis toujours et maintenant au sud, au Sahara.
Du Sidi Fredj, version mer de sables et débarquement par Bamako. Les Algériens n’y voient pas d'autre explication qu’une tentative détournée de l’ancien violeur pour revenir dans la maison et reprendre le viol là où il avait été interrompu par l’indépendance.
Le trauma rend opaque le reste des raisons de l’intervention française dans cette région, rend peu crédible une autre histoire que l’histoire nationale, son viol, ses morts et ses souvenirs.
La hantise d'une (re)colonisation
Sur le Net, sur Facebook, dans les rues et les cafés, on ne parle pas de guerre contre les destructeurs wahabites des mausolées et de la région, preneurs d’otages et coupeurs de mains, mais d’une guerre-prétexte pour nous voler le pétrole, puis, en remontant encore plus vers le nord, Alger et tout le reste du pays.
L’histoire n’est donc pas close pour la mémoire. Et avec les mêmes acteurs: un colonisateur qui vient à Gao pour détruire des flibustiers et des nids de pirates comme au XIXe siècle et faire cesser la piraterie et se retrouve à coloniser, labourer, voler et creuser les puits et la misère.
Et en face? Un peuple divisé par lui-même et un «deylicat» faiblard, avec un dey qui agite son fameux éventail, dans son palais, à la recherche de l’immortalité face à des officiers peu dignes de confiance.
Du coup, le 12 janvier 2012 à Gao, c’est une sorte de 5 juillet 1830 à Alger (prise de la ville par la France, et qui marqua notamment, dans les faits, le début de la colonisation). On y aura compris l’essentiel: la mémoire est plus vivante que le regard, la douleur des Algériens est immense, le trauma est profond et la méfiance nationale.
C'est ce que l’histoire nationale et l’histoire coloniale ont fait de nous: peuple inquiet pour sa liberté, mais ne sachant pas être libre chez lui, dans sa tête et pour les siens. Ce que va faire le régime de cette émotion, on ne sait pas et dans le malaise: travailler trop le sentiment anti-français n’est pas bon pour les relations internationales du régime. Le laisser s’éteindre et se dissoudre, n’est pas bon pour la légitimité interne et va provoquer un effondrement du régime, une révolution bis, un «printemps».
C’est ce même sentiment anticolonial profond qu’a d’ailleurs joué le pouvoir pour stopper le «printemps» local et les rébellions.
To go or not to go?
Mais aller au Mali, c’est casser le tabou du non interventionnisme militaire algérien depuis la guerre des sables avec le voisin. C’est s’impliquer et dilapider cette aura postcoloniale de pays en faveur de la lutte des peuples, des libertés, des diplomaties actives et de recherches de solutions «paisibles».
Ne rien faire, c’est entrer en contradiction avec la seconde rente algérienne: la coopération pour la lutte anti-terroriste mondiale. Cette fameuse expérience et position géostratégique que le pouvoir vend un peu partout quand il ne vend pas du pétrole.
On ne peut pas être chantre de l’anti-djihadisme et de l’anti-islamisme et ne rien faire au Sahel, ni faire quelque chose et être un non-aligné convaincu et convainquant. Et donc, on ne sait pas. On regarde et on réagit en fonction du vent (de sable).
Pensée donc pour nos otages retenus là-bas.
Kamel Daoud (Le Quotidien d'Oran)
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