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Mandela, une marque qui vaut de l'or
La main ouverte de l’ancien président sud-africain ainsi que son numéro de prisonnier seront bientôt imprimés sur des chemises et des polos de luxe. Un moyen pour la Fondation Mandela de rentrer dans ses frais.
Si Nelson Mandela est célébré et honoré dans le monde entier, il faut bien avouer qu’il ne le doit pas à son style vestimentaire. Ses chemises bariolées, qui ressemblent à de vieilles tapisseries des années 1970, auraient même pu perturber la reine d’Angleterre lors de sa dernière visite à Londres à l'occasion de son 90e anniversaire en 2008. Mais comme le vintage revient à la mode, un groupe de stylistes sud-africains a su remettre la «Mandela touch» au goût du jour.
Des polos de luxe pour «faire le bien dans sa communauté»
Achmat Dangor, le président de la Fondation Mandela vient de signer un partenariat avec la plus grande entreprise de textile sud-africaine, Seardel, en grande difficulté financière. Ensemble, ils distribueront une nouvelle ligne de vêtements à l’effigie de l’ancien président: 46664 Apparel Line. Enfin, à l’effigie, pas tout à fait. Depuis le concert en l’honneur de son 90e anniversaire à Londres, la Fondation veut faire du chiffre 46664 (l’ancien matricule du plus célèbre prisonnier du monde) et sa main ouverte des outils marketing. Une manière de ne pas exposer son visage et de protéger son image, comme le souhaitent ses avocats.
«Le monde entier pourra désormais utiliser la marque 46664 comme un message pour faire le bien dans sa communauté», annonçait Achmat Dangor le 9 mars dernier.
Comme si porter un polo «Mandela» devait rendre le monde meilleur.
En 2008, la Fondation Mandela annonçait encore qu’il était hors de question de faire un «business» autour de l’ancien combattant de la liberté. Toutes les reproductions affichant le visage de Nelson Mandela devaient être interdites, pour ne pas en faire un autre Che Guevara. Casquettes, T-Shirts, posters pour ados en quête d’inspiration révolutionnaire, tasses à café (et même tabliers!) ont été retirés de la vente, pour ne pas faire de Madiba une icône mondiale bon marché. Mais les bracelets Mont Blanc en platine à 8.000 euros et désormais cette ligne de vêtements, deux produits lancés par la Fondation Mandela, ne rentrent pas dans la liste des objets interdits.
Renflouer les caisses de la Fondation
Cette Fondation fût créée en 1999, lorsque Nelson Mandela s’est retiré de la vie publique. Son objectif: perpétuer «les bonnes actions et la mémoire» de celui qu'on surnomme Madiba en organisant des conférences sur le Sida, les inégalités raciales, des projets de développement à travers l’Afrique et en archivant les documents personnels et historiques de l’ancien président. Son ambition est grande: la Fondation veut atteindre les 500 millions de Rands (5 millions d’euros) de fonds permanents. En 2010, elle ne disposait «que» de 123 millions de Rands (1,3 millions d’euros). Et Achmat Dangor ne s’en cache pas, la ligne de vêtements Mandela devrait permettre de renflouer les caisses:
«Pour encourager l’héritage de Nelson Mandela et révéler les injustices sociales en Afrique du Sud, 46664 a besoin de revenus stables et durables. Nous pensons que cette marque de vetêments peut y contribuer.»
Luxe et bonne conscience
Si le but est louable, les moyens d’y parvenir sont plutôt controversés. Le prix des vêtements supposés «révèler les injustices sociales» exclut une grande partie de la population en Afrique du Sud. Les T-shirts 46664 devraient coûter environ 25 euros et les polos 80 euros. Comme la Fondation ne veut d’impressions sur «des t-shirts bon marché», les habitants des townships —premières concernées par la lutte contre les inégalités— n’y auront pas accès. On ne parle même pas du bracelet de marque Mont Blanc à 8.000 euros mis en vente en 2008, et qui n’est porté que par de riches hommes d’affaires. Il s'agit plus de bonne conscience citoyenne que d'un réel esprit révolutionnaire…
Mandela, une marque qui vaut de l'or
Nelson Mandela a toujours fait savoir qu’il ne voulait pas être considéré comme une «idole». Pendant ses vingt-sept années de prison, le régime d’apartheid avait interdit toute diffusion ou reproduction de son visage. La médiatisation n’en a été que plus forte à sa sortie, car personne ne savait à quoi ressemblerait vraiment le «prisonnier le plus célèbre du monde».
Achmat Dangor confie sans cesse son «inquiétude de voir la marque Mandela commercialisée». Cette marque, déposée à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle de Genève, vaut de l’or. C’est pourquoi toute utilisation doit d’abord être approuvée par les avocats de Mandela, et une partie de l’argent reversée à la Fondation, qui contrôle d’une main de fer ce business très lucratif.
Sophie Bouillon