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Mali: des patrouilleurs pour remplacer l'Etat à Gao
Pour sauver ce qu'il reste de l'Etat malien dans le nord occupé par les djihadistes, de jeunes volontaires ne ménagent pas leurs forces. Reportage à Gao.
«Ces Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), ils ont la terre, mais ils n’ont pas les cœurs», affirme Sidi Oumar Cissé, du mouvement des patrouilleurs, à Gao.
«Quand on voit le chaos, les images dans les médias, on croit que c’est général, mais non, c’est circoncis à certains quartiers», ajoute cet enseignant, en chômage technique.
Créé spontanément après la prise de Gao par le MNLA (juin 2012, Ndlr), le mouvement des patrouilleurs a entrepris de sauver les biens de l’Etat —les archives de la ville sont détenues dans un lieu tenu secret— et de maintenir un semblant de sécurité.
A cette période, les viols et les pillages, favorisés par l’abandon de l'Etat et la déroute de l'armée, constituaient le quotidien de la ville.
«A l'arrivée du MNLA, la prison a été ouverte, c’était du grand n’importe quoi. Tout le monde cherchait sa part du gâteau.»
Le 2 avril, après le départ de l'Etat, les jeunes se sont donc concertés avec les délégués de quartiers.
«On a suivi le principe coutumier qui consiste à demander l’accord des Sages, qui ont approuvé notre action», explique Sidi.
Brigades de vigilance
Des anciens étudiants, des enseignants… composent le mouvement.
«On s’est formés, on était à chaud, on voulait l’accalmie. Mais on pensait que ce serait l’affaire de deux semaines…»
Petit à petit, les patrouilles se sont organisées. Les «brigades de vigilance» se réunissent à 22 heures et patrouillent jusque 5 heures du matin. Ils traquent voleurs et violeurs. Une base dans chaque quartier, divisée en sections: les volontaires se relaient pour partir en reconnaissance.
On parle d’environ 300 volontaires dans chaque quartier. La population se montre solidaire, offrant du thé et des cigarettes pour les aider à ne pas s’endormir. Chaque soir, des femmes leur préparent le repas. Les ONG Coren et Cri du Cœur les ont également aidés. Mais, depuis huit mois, la crise économique étant toujours plus aigue dans le pays, les gestes de solidarité se font plus rares.
Les patrouilleurs préparent la deuxième édition d’un tournoi de football. L’idée: redonner un peu d’espoir aux habitants, et leur montrer qu’il est possible de vivre, en dépit de l’application de la charia, à Gao.
«Le Mujao n’ose rien nous interdire», affirme-t-il, même si depuis quelques jours, les relations se sont tendues. La presse malienne relaie les menaces de mort qui auraient été proférées contre les membres du mouvement.
«C’est parce qu’on soutient le retour de l’armée dans le nord», explique Sidi.
Qu’importe! Pour les patrouilleurs, leurs actions répondent à un «devoir de génération: dans un sens, on aide au retour des habitants qui avaient fui Gao. Notre ville est pleine de jeunes démocrates, habitués à la belle vie, qui préfèrent leur liberté plutôt que de vivre sous pression. Ils (les Mujao) essaient de changer nos mentalités mais nous sommes des démocrates, et on mourra démocrates.», affirme Sidi.
Redonner de l'espoir aux habitants
Leurs méthodes ne font pas l’unanimité. Que font-ils des voleurs qu’ils attrapent? S’il s’agit d’un «professionnel», ils le livrent au Mujao. Maintenant, ils disent préférer demander au voleur de quitter la ville, et lui offrent le billet de bus:
«Souvent, ce ne sont pas vraiment des voleurs, mais des habitants désespérés qui cherchent un moyen de partir.»
Enfin, si ce sont des jeunes, ils appellent leurs parents, non sans leur avoir passé une bonne dérouillée...
«Les sages nous ont demandé de nous calmer sur les corrections. Mais les patrouilleurs sont des jeunes, on ne peut pas contrôler tous les comportements, à plus forte raison quand il s’agit de volontaires…», justifie l’un d’eux.
Ils sont généralement appréciés par la population:
«Ces jeunes risquent leur vie pour sauver les biens et les personnes!», raconte Mahamadou Talil, en mission humanitaire à Gao.
Certains habitants les accusent cependant d’avoir, en livrant les voleurs au Mujao, participé aux amputations et encouragé de manière indirecte l’application de la charia par les islamistes. «Ce sont des collabos!», s’insurge Ousmane Maïga, habitant de Gao.
Sidi nie:
«Souvent, ils sont venus nous démarcher. Avec eux, on procède à un jeu de cache-cache. Mais non, on ne fréquente pas les Mujao. Quelque uns d’entre eux, parfois, au commissariat. C’est tout.»
Aliou Mahamar, ancien commissaire islamique du Mujao, (qui affirme être de retour de Ménaka et nie son arrestation pour tentative de fuite…), assure pourtant qu’ils travaillent «main dans la main» et que les patrouilleurs les appellent «quand ils ont un problème».
Le Mujao ne manque pas une occasion de s’afficher avec des jeunes pour tenter de montrer, comme l’affirme Aliou, que «tout se passe bien avec la population à Gao».
Sidi admet qu’au départ, ils ont accueilli les djihadistes comme des sauveurs, puisqu’il s’agissait de mettre le MNLA dehors. Mais qu’ils ont vite déchanté.
«Ce sont des illettrés. Ils se sont imposés, sans rien chercher à comprendre», constate Hamil Boubacar Touré, porte-parole du mouvement.
Aujourd’hui, il raconte que les voleurs viennent d’eux-mêmes se dénoncer et rendre ce qu’ils ont volé aux patrouilleurs, pour éviter d’avoir affaire au Mujao:
«On récupère des frigos, des motos, des climatiseurs…»
Les profiteurs ne manquent pas
Tout le monde n’adhère pas pour les mêmes raisons. Abidine, mécanicien de métier et engagé dans le mouvement, n’est pas contre les amputations, sur le principe:
«Les voleurs doivent être punis.»
Mais il veut le retour de l’Etat contre ces envahisseurs. A cela, il ne voit aucun paradoxe. Il y a les laïcs pur jus, il y a ceux qui trouvent encore moyen de boire leurs bières à Gao et qui veulent le retour à la vie tranquille, telle qu’ils la connaissaient.
Et, évidemment dans un pays en crise, chaque mouvement qui se crée glane son lot de profiteurs:
«Certains jeunes viennent vers nous. Leurs parents leur disent "'c’est votre chance, plus tard vous serez récompensés"», témoigne Sidi.
Toujours cette idée que l’Etat reviendra, et saura reconnaître les braves. Reste à savoir qui est le plus méritant des mouvements qui se sont créés à leur suite. Nous Pas Bouger, les Patriotes, Soni Aliber?… Chacun revendique la paternité de la contestation à Gao, des marches, des confrontations avec le MNLA et les islamistes.
Les membres fondateurs des patrouilleurs ont quitté Gao pour Bamako, lassés que d’autres viennent demander de l’argent aux mouvements politiques en se réclamant de leur mouvement.
Pour Sidi, une fois l’Etat revenu, les patrouilleurs rendront leur tablier. Mais pour les centaines de volontaires qui, chaque nuit depuis avril, veillent aux biens de l’Etat et des personnes, «bien sûr, on attend quelque chose: quand l’armée viendra reconquérir le Nord, là on nous verra. Et l’histoire nous donnera raison».
Dorothée Thienot
Pour compredre la crise malienne, retruvez notre dossier Mali: un pays coupé en deux