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 l'ex-président malien (1968-1991) à Bamako, en 1985. © FRANCOIS ROJON / AFP
l'ex-président malien (1968-1991) à Bamako, en 1985. © FRANCOIS ROJON / AFP

Mali: le retour en grâce de l'ex-dictateur Moussa Traoré

La situation catastrophique du Mali éveille la nostalgie du régime du dictateur Moussa Traoré, pourtant renversé par le peuple.

A quoi pense le nouveau Premier ministre malien Diango Sissoko quand il emprunte le pont des Martyrs? Ou quand il passe devant la pyramide du Souvenir, bâtie pour «honorer et perpétuer la mémoire des Martyrs du 26 mars 1991 et, partant, de tous ceux qui, au Mali, dans des circonstances diverses ont donné leur vie pour le triomphe de la liberté»?

Quand les contestataires du régime autoritaire de Moussa Traoré tombaient sous les balles des forces de sécurité, en mars 1991, Diango Sissoko était secrétaire général de la présidence avec rang de ministre.

Il demeura à cette fonction jusqu’aux dernières heures de pouvoir de Moussa Traoré, renversé le 26 mars par des militaires.

Malgré cette fidélité attentiste, les Maliens n’ont pas renversé leurs théières fumantes à l’annonce de sa nomination à la place de Cheick Modibo Diarra, le 11 décembre 2012.

Dans un pays en feux de détresse, où des militaires putschistes et des politiciens au bilan médiocre se disputent le statut de «redresseurs» de la démocratie, le choix consensuel de Diango Sissoko a pourtant pu sembler symboliquement déroutant.

Diango Sissoko, fidèle parmi les fidèles

Le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR, opposé au coup d’Etat) a félicité celui qui fut également directeur des prisons et ministre de la Justice sous Moussa Traoré pour sa «carrière exceptionnelle», et a salué un «couronnement mérité».

Surprenant, quand on sait que certains membres du FDR ont connu les pires heures de leur vie sous Moussa Traoré.

Président du Parena, Tiébilé Dramé a été emprisonné, à plusieurs reprises, entre 1977 et 1980, alors qu’il militait au sein de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali. Ménaka, Kidal… 

«J’ai découvert le nord du Mali via ses prisons», s’amuse celui qui se souvient aussi avec gravité des «amis morts sous la torture»

Aujourd’hui, il salue Moussa Traoré quand il le croise.

«C’est du passé. Il n’est pas nécessaire de regarder en permanence dans le rétroviseur. Le Mali a d’énormes difficultés. On a besoin d’un pays réconcilié.»

Quant à Diango Sissoko, «il s’est tout le temps comporté en commis de l’Etat, en haut fonctionnaire qui a la souci du pays. Ce n’est pas un homme de parti. Sa nomination ne m’a pas choqué».

C’est également ainsi que s’est présenté le Premier ministre le jour de la passation de pouvoir:

«Je ne considère pas cette nomination comme une consécration. Je suis un haut fonctionnaire de l’Etat. Pendant des décennies, j’ai servi l’Etat. J’ai eu toutes les satisfactions auxquelles un haut fonctionnaire peut s’attendre. Être Premier ministre ne fait pas partie du plan de carrière d’un fonctionnaire. C’est un hasard, un accident heureux. C’est ca ma conception du service de l’Etat.»

Flagrant, aujourd’hui, le retour aux affaires des hommes de Moussa Traoré s’est fait progressivement.

Pardonner pour avancer

En 2002, juste avant l’élection présidentielle, le président Alpha Oumar Konaré a gracié l’ancien président, dont les deux condamnations à mort avaient été commuées en prison à perpétuité.

«La plupart des 24 candidats à cette élection présidentielle avait également, avec plus ou moins de fermeté, promis la libération de Moussa Traoré, comme gage de leur volonté d'œuvrer à la réconciliation nationale, un des grands thèmes de la campagne électorale», observait l’AFP cette même année.

«Je n’ai pas l’impression que les Maliens désapprouvaient cette grace. Il n’y a pas eu d’impunité. Il y a eu jugement et sanction», commente Tiébilé Dramé.

Dans la foulée, Diango Sissoko est nommé, en novembre 2002, directeur de cabinet du Premier ministre, avant de retrouver son poste de secrétaire général de la présidence de 2008 à 2011. Il sert cette fois Amadou Toumani Touré, le tombeur de Moussa Traoré.

Pour les hommes de Moussa Traoré, la punition est terminée

Voilà comment le Mali a pu se réveiller, le 17 avril 2011, avec comme Premier ministre le gendre de Moussa Traoré, Cheick Modibo Diarra, accompagné au gouvernement par des cadres ayant servi sous son beau-père.

«Le pardon est chez les Maliens une seconde nature», explique Moussa Mara, maire de la commune IV de Bamako et candidat à l’élection présidentielle de 2012 qui n’a pas eu lieu. Son père, Joseph Mara,  fut l’un des plus proches compagnons de putsch de Moussa Traoré, en 1968 avant d’être envoyé par lui au bagne de Taoudeni (nord du Mali, environ 750 km au nord de Tombouctou).

Moussa Mara voit d’autres explications moins culturelles au retour en grâce de Moussa Traoré et de ses fidèles.

«Les vingt ans de démocratie ont été caractérisés par la corruption, le laisser-aller et le non respect de la chose publique. Les Maliens ressentent un besoin d’autorité et Moussa Traoré incarne ça. Ils se demandent si ce n’était pas mieux sous lui.»

Sans compter que «les hommes avaient une certaine compétence sous Moussa Traoré, ils n’étaient pas choisis au hasard»,

L’idée, enfin, que le «Maliba» («Grand Mali») n’est plus ce qu’il était. Pays coupé en deux, armée en déroute… 

«Sous Moussa Traoré les militaires étaient respectés. Deux guerres avaient été gagnées (guerre de la bande d’Agacher, Ndlr). Nos militaires étaient déployés partout en Afrique. Moussa Traoré dirigeait l’OUA (aujourd'hui Union africaine, Ndlr). Il y avait la fierté d’être Malien.»

Fabien Offner

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Fabien Offner

Fabien Offner. Journaliste français, spécialiste de l'Afrique de l'ouest. Il est basé à Bamako.

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