mis à jour le

Mamadou Koulibaly, le révolté de la politique ivoirienne
Il avait claqué la porte du FPI, le parti de Laurent Gbagbo. Aujourd'hui, Mamadou Koulibaly s'oppose au président ivoirien Alassane Ouattara. Portrait d'un écorché vif.
«Le trublion», «le traître», «le déréglé», «le dioula», les injures pleuvent sur Mamadou Koulibaly, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne de 2001 au 11 avril 2011, durant la présidence de Laurent Gbagbo.
Elles pleuvent de tous bords. Des partisans d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro, n’admettant pas que Koulibaly, le musulman du nord, ait pris parti pour Gbagbo. Mais aussi, des partisans de l’ancien président, aujourd’hui détenu à La Haye, n’acceptant pas que le numéro deux du régime ait très rapidement reconnu la défaite de son camp et ait claqué la porte du FPI, l’ex-parti présidentiel, dont il assurait la présidence intérimaire après la chute de Gbagbo.
Empêcheur de gouverner en rond
Qui est vraiment cet empêcheur de gouverner en rond, cet oiseau de mauvais augure, ce perpétuel écorché vif de la politique ivoirienne? Un révolutionnaire, un idéologue, un anticolonialiste, un provocateur?
La seule étiquette qu’il accepte est celle de nationaliste africain «qui travaille à la réalisation des Peuples libres et unis d'Afrique». Et accessoirement, de partisan acharné de l’économie libérale. Pas de quoi le vouer aux gémonies.
Alors, pourquoi est-il l’objet de telles inimitiés? Sans doute, parce qu’il ne cesse de mettre les pieds dans le plat. Depuis dix ans, il collectionne les coups de gueule, les incartades à la doctrine officielle, les actes de rébellion.
En janvier 2003, il claque la porte de Marcoussis où se négocient des accords avec la rébellion de Guillaume Soro. En 2004, il s’en prend violemment à la France qui a tenté, à la faveur du bombardement de Bouaké, d’installer le général Doué, alors chef d’état-major de Gbagbo, dans le fauteuil présidentiel. En 2007, il s’oppose au dialogue direct avec les rebelles de Guillaume Soro, en réclamant un désarmement préalable. Au printemps 2010, il accuse Désiré Tagro, le ministre de l’Intérieur de Gbagbo, d’avoir truqué le concours d’entrée dans la police:
«1.000 des 1.538 déclarés admis (soit un peu plus de 65% des candidats), écrit-il dans une lettre au président de la République, ont plutôt été recrutés, selon un système de quotas répartis entre certains camarades du parti, membres ou non de la direction du parti (le FPI, Nldr).»
Il réclame même la démission de Tagro. Gbagbo fait la sourde oreille. A l’automne 2010, il s’oppose à une élection présidentielle sans réunification préalable du pays et sans désarmement.
Lui le deuxième personnage de l’Etat, est absent lorsque, début décembre, Laurent Gbabgo se fait investir pour un nouveau mandat, sur la foi de résultats du Conseil constitutionnel lui donnant la victoire.
«L’escalade sur le terrain semblait indiquer qu’on allait inévitablement à l’affrontement, raconte t-il aujourd’hui à Slate Afrique. J’ai alors fait mes démarches auprès de Ouattara alors au Golf Hotel, son QG, pour le dissuader d’avoir recours à la guerre sous peine de conséquences profondes. Quand j’ai voulu voir Gbagbo pour lui rendre compte et partager mes avis avec lui, il a refusé de me recevoir pendant quatre mois. Et c’est seulement quand tout était perdu, désespérément perdu, et que Malachie (un prophète évangéliste, Ndlr) était devenu le dernier recours qu’il s’est remis à me parler.»
«J'ai quitté la Côte d’Ivoire, le 30 mars 2011, pour le Ghana où j’avais installé ma famille depuis 2004. C'est quand j'ai entendu le gouvernement, par la voix de Charles Blé Goudé à la télévision appeler les jeunes à se faire enrôler volontairement dans l'armée que j'ai compris que, contrairement à ce qu'il m'avait affirmé, Gbagbo avait décidé de faire la guerre. Je suis parti à Accra pour y attendre la fin du film avec ma famille. J'ai d'ailleurs voyagé avec le dernier fils du président Gbagbo, qui allait rejoindre sa mère (Nady Bamba, la seconde épouse) qui s'y trouvait elle-même depuis belle lurette.»
De retour à Abidjan le 20 avril 2011, neuf jours après l’arrestation du couple Gbagbo, il reprend la direction du FPI avant de se «faire jeter», selon sa propre expression, quelques semaines plus tard:
«Mes camarades m’ont dit: on n’attache pas bagage avec Dioula (une ethnie de la Côte d'Ivoire). Ce sont tes frères dioula qui sont au pouvoir, si tu ne peux pas aller les voir pour libérer Gbagbo, c’est que toi-même il faut partir.»
Le Dioula qui voulait être médecin
Dioula, le mot est lâché. Né le 21 avril 1957, à Azaguié à 45 km, au nord d'Abidjan, Mamadou Koulibaly est un pur produit nordiste.
Son père Bakary, d’origine senoufo, une ethnie du nord du pays, comme Guillaume Soro, est cultivateur de choux, salades, radis et carottes, avant de se convertir à la banane, cacao et au café. Sa mère Flany, mi-Malinké, mi-Sénoufo, est commerçante au marché du village.
Mamadou est le sixième fils d'une famille de dix enfants. Son épouse Amoussa Limata, née de père béninois et de mère burkinabè, originaire d'un village à l'ouest de Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, a abandonné son métier de professeur de français pour se consacrer à l'éducation de ses enfants, trois filles aujourd'hui étudiantes.
«Moi, je voulais devenir médecin», raconte t-il. Une vocation avortée. On l'oriente vers les sciences naturelles. Il tombe malade «à la suite du choc de cette orientation arbitraire» et passe plus d'un mois au CHU de Cocody.
A sa sortie de l'hôpital, il obtient le droit d'entrer en fac de sciences-éco, va étudier à l'université d'Aix-Marseille, où il devient, à 27 ans, l'un des plus jeunes agrégés de son pays.
Il devient prof et commence à écrire des pamphlets contre Houphouët-Boigny (président de 1960 à 1993), puis Ouattara, et Bedié. Et se fait ainsi remarquer par l 'opposant Gbagbo, qui lui envoie un émissaire, lui proposant de prendre en main la politique économique du FPI.
«J'ai accepté, même si à l'époque, beaucoup de choses nous séparaient: j'étais libéral, il était socialiste. Lui voyait la politique comme un métier; pour moi, c'était un service que l'on devait rendre au pays et aux populations. Je trouvais que la politique était une activité dangereuse en Afrique, pratiquée avec beaucoup de roublardise et cela ne me convenait pas. Mais la lutte pour la liberté nous a rassemblés.»
Ministre du Budget, en 1999, quand le FPI décide de participer au gouvernement du général Gueï, il est élu député de Koumassi, un quartier d'Abidjan, en 2000, quand Gbagbo arrive au pouvoir.
Propulsé au perchoir de l'Assemblée nationale, en 2001, il vit le coup d'Etat manqué du 19 septembre 2002 comme «une véritable déchirure».
«Voir la Côte d'Ivoire balafrée d'est en ouest comme cela m'a profondément traumatisé. J'ai aussi été choqué que, après deux ans de pouvoir, l'exécutif n'ait pas su défendre les populations et prévenir ce coup d'Etat, malgré toutes les informations dont nous disposions sur les attaques en préparation depuis le Burkina Faso. Ma première option, à l'époque, était qu'il fallait, sans tergiverser, immédiatement mater militairement cette rébellion. D'autres ont privilégié la négociation.»
De nouvelles pierres dans le jardin de Gbagbo où elles s'accumuleront pendant dix ans, sans que le président corrige cet enfant terrible, le tenant à distance ou le cajolant, selon les nécessités du moment.
«Dès 2005, Gbagbo avait tout lâché»
En novembre 2004, sa résidence de président de l'Assemblée nationale, voisine de la résidence présidentielle est mitraillée par des hélicoptères français, une attaque destinée à impressionner Gbagbo et à l'éloigner du pouvoir.
«Mes enfants souffrent encore du traumatisme de cette époque.» Puis, vient l'époque du dialogue direct avec les rebelles de Guillaume Soro et l'accord de Ouagadougou qui conduira la Côte d'Ivoire à l'élection présidentielle d'octobre 2010. Koulibaly est contre.
«Gbagbo, explique t-il, s’est muré dans sa conviction que la guerre était finie, qu’on avait le contrôle des choses et qu’on pouvait aller aux élections sans désarmement. Moi j’étais convaincu que c’était un gros piège, qu’on était en plein jeu de rôles, qu’on était en train de le rouler dans la farine, mais il refusait de me croire et a fait le choix de me mettre à l’écart sans mauvaise conscience. Dès 2005, j’ai compris qu’il avait tout abandonné, tout lâché: la commission électorale, la liste électorale, tout. C’est à ce moment là que je lui suis apparu comme l’empêcheur de négocier en paix. Pour lui l’art de la politique prend toujours le dessus sur la valeur des principes.»
Sur Soro, son «frère» senoufo, son opinion n'a pas changé:
«C'est un rebelle qui a pris les armes pour arriver au pouvoir. Lui-même revendique ce statut, puisqu'il continue de parcourir le monde, aujourd’hui en tant que président de l’Assemblée nationale, en justifiant la prise des armes, le sang versé, la désolation semée par la nécessité de satisfaire les revendications d’obtention de cartes d’identité et de cartes d’électeurs pour leurs hommes que lui et ses donneurs d’ordre avaient à l’époque. Je me pose la question de savoir quelles seraient les perspectives de la Côte d’Ivoire, si chaque fois que quelqu’un a des revendications qui ne sont pas entendues, il a recours aux coups d’Etat, aux tueries, à la rébellion pour obtenir satisfaction.»
«Ouattara président d'une ethnie»
On connaît la suite, le second tour de l'élection présidentielle, la crise postélectorale qui aboutira, le 11 avril 2011, à l'arrestation de Gbagbo par les forces françaises et à l'investiture d'Alassane Ouattara.
Mamadou Koulibaly a depuis fondé un parti, Lider, superbement ignoré par le nouveau pouvoir. Qui lui donne une tribune pour lancer ses quatre vérités au président:
«Si j'avais Ouattara en face de moi, aujourd'hui, je lui dirais qu’il rentre dans l’Etat de droit, qu’il devienne, enfin, le président de tous les Ivoiriens et non d’une ethnie, qu’il libère les énergies des populations, en leur donnant la propriété privée de la terre, qu’il privilégie la bonne gouvernance et les appels d’offres transparents au lieu du diktat du copinage de gré à gré. J’ajouterais qu’il faut qu’il confie les dossiers du désarmement et de la réforme du secteur de la sécurité à l’ONU, puisque de toute évidence, il est totalement dépassé, afin que les Nations unies puisse nous offrir une armée républicaine et reformatée selon les règles de l’art, à la place de la violente milice armée du RDR qui tient lieu d’armée nationale depuis son institution par Ouattara.»
Entrerait-il au gouvernement si on lui proposait?
«Si c'est pour appliquer le programme, ou plutôt le non-programme de Ouattara et se remplir les poches en se partageant le "gâteau" de l'Etat, comme la coalition aujourd'hui au pouvoir le fait à l'image des huit années de la Refondation de Gbagbo, alors c'est non. Mais, s'il admet l'échec de son programme et son incapacité à recoudre le tissu social qu'il a fortement contribué à déchirer, et qu'il souhaite faire appel à des acteurs politiques de tous bords pour une mission bien précise limitée dans le temps, à savoir le désarmement et la réconciliation, en vue de la préparation d'élections présidentielles anticipées et apaisées, alors pourquoi pas?»
Que pense Mamadou Koulibaly, le révolté, de l'emprisonnement de Laurent Gbagbo à La Haye?
«Je suis contre l'impunité, répond t-il. Ce n’est pas le fait que Gbagbo soit jugé qui me dérange, mais que les autres devant l’être aussi pour les mêmes motifs, Guillaume Soro et Alassane Ouattara en l’occurrence, ne le soient pas.»
Il demande qu'on solde tous les comptes: 300 morts, en 2000. 400 en 2002....
«En novembre 2004, l'armée française a tué 64 de nos compatriotes et blessé plusieurs milliers de personnes devant l'hôtel Ivoire. Pendant la crise postélectorale, il y a eu près de 15 000 tués, même si on a officiellement et pudiquement arrêté de compter à partir de 3.000 morts.»
S'il accuse la France des morts de 2004, il est plus nuancé sur son action de 2011:
«Le mandat que lui avait confié l’ONU était tellement flou et combinard qu’il est difficile de dire s’il a été outrepassé ou non. Je n’en veux à personne d’autre qu’à ceux qui nous ont conduit dans ces erreurs de calculs et d’appréciations et qui après ont refusé d’assumer les conséquences.»
Des événements «étranges»
Aujourd'hui, Mamadou Koulibaly affirme vivre de son épargne et des appuis de parents et amis. Il attend toujours le paiement d'arriérés de salaires et la régularisation complète des traitements auxquels la loi lui donne droit en tant qu’ancien président d’institution et ancien ministre.
Et continue à être victime d'actes qu'il qualifie d' «étranges».
«En février 2009, mon bureau partait en fumée à l'Assemblée nationale sans que l'enquête n'aboutisse jamais à une conclusion. Le 21 octobre dernier, j'ai failli perdre la vie au volant de ma voiture dans des circonstances inexpliquées. Les policiers du service des constats semblent exclure la thèse de l'accident.»
«A force d’être, comme les membres de ma famille, régulièrement molestés et bastonnés par ceux qu’il convient désormais d’appeler les "Factions répressives de Côte d’Ivoire" (FRCI), les travailleurs de ma plantation d'Azaguié ont fui et tout est à l’arrêt depuis. Le régime manigance de grossiers complots pour faire croire que j’entretiendrais un camp d’entraînement de miliciens sur mon domaine. Ils ont également voulu faire croire que je cultivais du cannabis pour financer les activités de mon parti politique Lider, et ont été fort désappointés de devoir admettre que la parcelle incriminée appartenait à quelqu’un d’autre. Nous vivons en réalité sous un régime militaire qui porte des habits civils.»
Azaguié, le berceau familial qu'il n'a jamais quitté, même si son épouse et ses filles vivent au Ghana. C'est là qu'il possède une forêt naturelle d'environ 50 hectares «avec une maison que j’étais en train de bâtir quand le matériel de construction et de travaux champêtres a été volé par les FRCI».
«J'aime le forêt. Je suis un enfant de la brousse», lance Koulibaly, pour une fois apaisé.
Philippe Duval
A lire aussi
Hamed Bakayoko, bon vivant et shérif de la Côte d'Ivoire
Retrouvez aussi tous nos articles sur la Côte d'Ivoire