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Partisan de Mohammed Morsi le 21 décembre à Alexandrie. Reuters/Khaled Abdullah Ali Al Mahdi
Partisan de Mohammed Morsi le 21 décembre à Alexandrie. Reuters/Khaled Abdullah Ali Al Mahdi

Egypte: les sales méthodes des Frères musulmans

La Constitution égyptienne concoctée par les islamistes a été approuvée par 63,8% des votants. Les Frères musulmans crient victoire, les opposants, à la fraude. Reportage à Alexandrie, théâtre d’une bataille sanglante entre les deux camps.

Jusqu’à 3 heures et demie du matin, dimanche 16 décembre, Mostafa El Sayed et ses amis y ont cru.

Dans leur local du centre ville d’Alexandrie, ces jeunes militants socialistes ont passé la moitié de la nuit à recenser, bureau par bureau, les résultats envoyés par leurs observateurs qui avaient pu assister au dépouillement.

Et la tendance était nette: 55% de «non». Aussi, quand l’annonce officielle est tombée à la télévision, vers 4 heures, ils en sont restés bouche bée: 55% de «oui».

Une claque pour eux. Surtout à Alexandrie. Car la ville, berceau du mouvement communiste en Egypte, avait en effet affiché sa défiance des islamistes, au premier tour de l’élection présidentielle, il y a six mois, offrant les premières places à Hamdeen Sabahi et Aboul Foutouh —respectivement candidats de la gauche et de l’extrême-gauche.

Mais la cité portuaire est aussi le bastion des salafistes, qui y ont établi le siège de leur parti, al Nour, et qui pensaient avoir fait main basse sur la ville lorsqu'ils ont gagné les législatives, en janvier 2012.

Les affrontements qui ont agité les rues ces dernières semaines auraient donc dû mettre la puce à l’oreille des opposants: les islamistes ne sont pas prêts à voir leur échapper la deuxième ville du pays. Quitte à se salir les mains, à user de violence, de mensonges et de triche.

Pression religieuse et armée

Tout a commencé le 23 novembre, lorsque le président Mohamed Morsi s’est arrogé les pleins pouvoirs.

Pendant la prière du vendredi, le cheikh Mahalawi, figure de la résistance à Hosni Moubarak, qui prêche aujourd’hui à la mosquée Kaïd Ibrahim, dans le centre d'Alexandrie, a traité les opposants d’«infidèles».

«Ça a mis le feu aux poudres, raconte Ines, étudiante à la fac de commerce, parce qu’on est musulmans nous aussi. On s’est réunis devant la mosquée pour chanter des slogans mais les partisans du cheikh ont commencé à nous jeter des pierres. On a remonté la rue en courant et on s’est retrouvé devant le siège du Parti de la Liberté et de la Justice.»

Et tandis que les uns arrachaient l'enseigne de l’aile politique des Frères pour la brûler sur le trottoir, les autres grimpaient les escaliers du petit immeuble et saccageaient les bureaux.

Pendant trois semaines, ensuite, les bagarres ont continué: ceux qui appelaient à voter «non» se voyaient taxer de mauvais musulmans, et les affrontements se sont multipliés, dans les rues, pendant les meetings des opposants qui se faisaient attaquer et même dans les locaux de l’université, où quelques tables ont volé entre les étudiants des Frères et les étudiants socialistes.

La tension n’a cessé de monter jusqu’au vendredi précédant le scrutin.

A nouveau, au cours de son prêche, le cheikh Mahalawi a insulté les opposants, les traitant de chiens et menaçant de l’enfer ceux qui voteraient «non».

A nouveau, des centaines de manifestants ont donc immédiatement encerclé le lieu de culte, traitant le cheikh d’ «enculé de sa mère».

Armés de fusils, de pistolets calibre 9 millimètres et de sabres, quelques salafistes ont volé au secours de Mahalawi, prisonnier de sa mosquée assiégée, mais les policiers se sont interposés, dispersant à coups de grenades lacrymogènes la petite bande armée, avant de parvenir à extraire le cheikh pour l’emmener en lieu sûr, vers 2 heures du matin.

Les islamistes ont également utilisé la religion en dehors des mosquées pour faire campagne. Dans les rues de Maamoura, par exemple, un quartier paysan devenu la banlieue nord d’Alexandrie depuis que les immeubles ont poussé dans les champs, les Frères vendaient aussi des Indulgences, avant le référendum.

«Si tu votes oui, tu iras au paradis», martelaient tracts et vidéo-clips diffusés dans la rue.

«Ils jouent sur la peur et l’ignorance», dénonce Mariam, une opposante qui habite le quartier.

«Ils peuvent le faire parce que l’illettrisme est toujours en hausse dans le pays et que ceux qui ne savent pas lire votent souvent comme l’imam.»

Acheter les électeurs

Lorsqu’ils sont entrés dans les bureaux des Frères musulmans, le premier jour des manifestations, Mostapha el Sayed et quelques autres manifestants en ont profité pour fouiller un peu.

«Il y avait des coupons de réduction sur les factures d’électricité et de gaz, des bons pour aller voir gratuitement un médecin des Frères, et une liste des pauvres du quartier», énumère l’étudiant, photos à l’appui.

Le jeune leader en est certain, c’est ainsi que les Frères font campagne dans un pays qui s’enfonce dans la crise économique: en achetant les faveurs des électeurs dans les quartiers populaires.

Il en est d’autant plus sûr qu’il connaît bien la confrérie; recruté à 13 ans, il y a passé cinq ans, atteignant le dernier degré d’intégration —membre actif— avant de claquer la porte en janvier 2011.

Face à ces accusations, Ossama Said, président du syndicat étudiant de la fac de sciences humaines d’Alexandrie et jeune responsable des Frères musulmans, tente de se justifier.

«Nous ne cherchons pas à acheter les votes», argumente-t-il.

«C’est vrai, rétorque Mostapha. Mais en période d’élection, les Frères ne se privent pas d’expliquer aux pauvres que s’ils ne votent pas comme il faut, bientôt ils ne seront plus en mesure de les aider. Je le sais. J’ai déjà fait campagne avec eux.»

«Et puis ils ne font que donner d’une main ce qu’ils reprennent de l’autre puisque Morsi vient d’annoncer une importante augmentation des taxes sur plusieurs produits de première nécessité et de grande consommation», renchérit Mariam

Pendant le vote: tricheries et compagnie

Toute la journée du scrutin, Mostapha et Mohamed, l'un de ses amis, ont sillonné Alexandrie et sa banlieue, se rendant dans tous les bureaux de vote où leurs badges d’observateurs leur permettaient d’entrer. En chemin, une camarade de fac de Mostapha l’a appelé, furieuse:

«On m’a refoulé du bureau de vote parce que je ne portais pas le foulard ; je n’ai pas pu voter !»

Devant l’école pour garçons de Maamoura, un vieil homme, militant nassérien connu dans le quartier, a patienté deux heures et demi avec ses amis:

«Quand il nous a vu, le superviseur a fermé le bureau pour prendre sa pause déjeuner», raconte-t-il.

Finalement, le vieil homme est entré. Mais la plupart des bureaux du quartier se sont engorgés mystérieusement lorsque des opposants arrivaient dans la file d’attente; les queues s’allongeaient au point que certains ont abandonné l’idée de voter. Un engorgement d'autant plus étrange que selon les chiffres officiels, le taux de participation au référendum n'a pas dépassé 32% en Egypte.

Un scrutin crédible? 

Dans la petite salle de classe transformée en bureau de vote, ce samedi 15 décembre au matin, un homme sort de l’isoloir et en interpelle un autre, au blouson rayé, debout près de la porte:

«Q’est ce que je dois faire déjà?».

L’autre s’avance, et entre dans l’isoloir avec lui, sans que le superviseur du bureau ne lève la tête. Mostapha l’apostrophe:

«Ils peuvent être deux dans l’isoloir ?»

L’homme au blouson rayé ressort de l’isoloir.

«Mon ami ne sait pas lire», s’excuse-t-il.

«S’il ne sait pas lire, c’est moi qui vais dans l’isoloir avec lui», lance le superviseur en s’avançant.

«Non, mais c’est bon, je sais lire», répond l’homme, avant de retourner, seul, dans l’isoloir.

«On n’est même pas sûrs que tous les superviseurs soient vraiment juges», confie Mohamed, l’air écoeuré.

«La plupart refusent de nous montrer leurs cartes professionnelles et les policiers qui devaient vérifier les identités, ce matin à l’entrée, ne savent pas tous lire».

Car c’est un autre problème de ce scrutin; il n’y avait pas assez de juges pour en contrôler la régularité.

Le 22 novembre, peu avant sa déclaration constitutionnelle, le président égyptien a en effet limogé le procureur général du pays, provoquant une grève immédiate des juges - au premier rang desquels ceux d’Alexandrie, dont les tribunaux étaient restés fermés avant le référendum.

Aussi, lorsque Morsi a annoncé dans la foulée la publication du texte de la Constitution et la tenue du référendum dans les 15 jours, il s’est avéré impossible de trouver suffisamment de juges pour tenir tous les bureaux de vote. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le référendum a dû se tenir en deux fois.

La fraude au niqab

Devant l’école pour filles de Maamoura, deux pieds chaussés de rangers dépassent d’un niqab et s’éloignent lorsque Mostapha et son ami arrivent.

«Un homme qui se fait passer pour une femme, c'est une technique de fraude que les Frères ont déjà employé pendant les législatives», soupire Mostapha.

Reste que cette méthode de triche est aisée; aucun juge ne vérifie l’identité des femmes qui se présentent en niqab.

Facile, dès lors, de venir voter autant de fois qu’on a de cartes d’identité en sa possession, surtout lorsque les femmes qui portent le niqab ne sont pas obligées d’enlever leurs gants et de tremper leur doigt dans l’encrier après avoir glissé le bulletin dans l’urne.

Et des cartes d'identité, les Frères en ont. Quelques jours avant le scrutin, en effet, au cours de leurs fameuses tournées de charité, des membres de la confrérie relevaient les papiers de femmes pauvres ou sans abris, au prétexte de les inscrire dans leur registre.

«Elles ont dit qu’elles les rendraient la semaine prochaine», rapporte Ismail, un habitant qui a assisté à la scène rue Abou Slimane, mais qui ne veut pas donner son nom par peur des représailles.

«En échange, ils donnaient de l’argent, des couvertures ou des bouteilles d’huile».

Une jeune activiste originaire du Caire, Mai Badr, a pris des photos de scènes identiques se déroulant juste sous ses fenêtres, la veille du scrutin.

Les assesseurs du bureau de vote sont en revanche plus pointilleux lorsque des activistes décident de surveiller le dépouillement;Mohamed et son ami ont été mis dehors de l'école de Maamoura, au motif que personne ne devait s’approcher des urnes.

«Personne sauf les Frères bien sûr», s’énerve Mohamed.

Le garçon de 21 ans les connaît bien; lui aussi a passé 12 ans dans la confrérie, qu’il a quitté il y a quelques mois seulement.

Dans le dernier bureau de vote de Maamoura, un juge les a finalement laissé entrer. A la fin du dépouillement, les deux garçons sont ressortis avec le sourire: le «non» l’avait emporté à 57%.

Mais dans les deux salles de classe voisine, qui ne comptaient que des assesseurs de la confrérie et pas de juge, le résultat était exactement inverse.

«Ce n’est pas grave», a temporisé Mostapha, avant d'ajouter:

«Ils ne pourront pas tricher partout».

Confiants, les deux garçons ont donc repris le chemin de leur local pour centraliser les résultats relevés. De tous les quartiers de la ville, dans tous les bureaux de vote où leurs camarades ont réussi à entrer, les résultats donnaient le «non» gagnant avec dix points d’écart.

Malgré les méthodes de campagne fumeuses des islamistes, Alexandrie restait fidèle à sa réputation contestataire. Alors, jusqu’à trois heures et demie du matin, dimanche, Mostapha El Sayed et ses amis y ont cru.

Et  restent, aujourd'hui encore, estomaqués par l'ampleur de la triche qui a permis aux islamistes de renverser le résultat du référendum dans la deuxième ville d’Egypte.

Marie-Lys Lubrano

 

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Marie-Lys Lubrano

Journaliste indépendante

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