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Tripoli FM, la radio qui veut faire oublier Kadhafi
Interdits d'antenne sous Kadhafi, la musique occidentale et l'anglais envahissent les ondes dans la capitale libyenne, grâce à la radio Tripoli FM.
«This is Tripoli FM» («Vous écoutez Tripoli FM!»). Au programme: de la musique, des bagnoles, des fringues, du sport et des bulletins d’information. Le tout exclusivement en anglais.
Le ton Tripoli FM tranche singulièrement avec les autres stations de radio libyenne, où la récitation du Coran fait œuvre de colonne vertébrale à leur programmation.
Les influences revendiquées penchent davantage à l’ouest qu’à l’est. D’ailleurs, le jingle, dans sa forme courte et percutante ainsi que dans son intonation travaillée, emprunte directement au célèbre «This is CNN» de la chaîne d’information en continu américaine.
L'idée d’une telle radio vient indirectement de l’Occident.
«J’étais en train de boire un café avec un ami quand nous avons appris que l’OTAN allait bombarder la Libye de l’ancien régime. Aussitôt, on s’est demandé ce qu’on pourrait faire après la chute de Kadhafi qui nous paraissait inévitable. C’est comme ça que l’idée d’une radio qui diffuserait de la musique étrangère, interdite alors, s’est imposée», se remémore Radwan Gariani, le fondateur de la radio.
Il débarque au Liban en septembre 2011 pour récupérer une antenne d’émission radio, un transmetteur et des microphones. La radio émettra quelques jours avant la mort de l’ancien guide.
Ironie de l’histoire, le groupe Facebook de la station est créé la veille du décès de Kadhafi. Le seul acte de résistance comme le concède volontiers Radwan, à l’embonpoint conséquent.
La radio a trouvé refuge dans le siège de la société de marketing de Radwan. Et la dizaine d’employés, essentiellement des jeunes étudiants, ont construit eux-mêmes, l’unique studio.
La langue de Shakespeare, sinon rien
Aujourd’hui, Tripoli FM est devenu incontournable dans la capitale libyenne et ses alentours —la puissance de l’émetteur ne permet pas à la radio d’être captée sur tout le territoire.
Les jeunes, bien sûr, mais aussi les chauffeurs de taxi sont friands des programmes. A commencer par la musique.
«La question s’est rapidement posée de savoir si on allait passer de la musique uniquement occidentale ou arabe. On a opté pour la première solution, car à l’époque, on était les seuls sur ce credo», précise le fondateur. Business is business.
Et les émissions aussi seront toutes présentées dans la langue de Shakespeare. Pied de nez posthume à Kadhafi qui avait interdit l’apprentissage des langues occidentales avant l’université.
La musique, c’est le domaine de Radi Dahn, le directeur exécutif-DJ-animateur de Tripoli FM.
C’est avec fierté qu’il détaille les recettes du succès de la chaîne.
«On ne passe pas les musiques n’importe comment. On a des dossiers: musique de confort, vieux tubes, hits, musique country ou encore hip-hop. Selon les heures de la journée, on passe tel ou tel dossier, parfois on les mélange. Tous les mois, on s’approvisionne en nouveaux titres en Tunisie et en Egypte.»
Radi aime à dire qu’il est le premier DJ à avoir introduit le son Dubstep en Libye. L’ingénieur en mécanique a appris les ficelles du métier auprès de la radio tunisienne Mosaïque, la première radio privée du pays, chez qui il se rend régulièrement.
Et c’est donc grâce à Radi que Gangnam style est également devenu un succès en Libye.
Zainab, fan de foot et présentatrice vedette
La musique d’abord donc, mais pas seulement. Tripoli FM offre des émissions totalement incongrues dans le paysage radiophonique libyen. Ainsi, deux fois par semaine, le duo Radi et Zaino se lancent dans un tour d’horizon passionné du monde footballistique.
Zaino c’est Zainab, une Tripolitaine de 21 ans, fan absolue du Real de Madrid, et dont l’histoire symbolise l’éclosion d’une certaine jeunesse dorée libyenne après la révolution.
«En tant que fille, je restais tout le temps à la maison. Je m’ennuyais ferme, alors je regardais beaucoup la télé. Grâce au satellite, j’ai appris l’anglais en regardant les films et j’ai découvert le football. Un jour Radi m’a appelé pour présenter l’émission Kick off. Ça a été un peu dur de convaincre mon père et mon frère, au début, mais maintenant, ils adorent l’émission.»
A l’université, Zainab se fait même aborder par des camarades quand ils reconnaissent la voix de Zaino!
«J’espère que Tripoli FM pourra permettre aux jeunes de progresser en anglais comme les films l’ont fait avec moi pour qu’ils puissent ensuite voyager.»
Nizar, lui, est le «professionnel» de l’équipe. Il a passé quinze ans au Canada où il a fait un peu de radio.
Il s’occupe de l’émission Home run, de 13 à 15 heures, tous les jours. La case la plus stratégique, car à cette période de la journée, Tripoli n’est qu’un immense embouteillage ou la seule distraction est d’écouter la radio.
Technologie, sport, informations nationales et internationales, Nizar s’occupe de tout.
«On parle de tout, aussi bien des potins des stars que des dernières gadgets technologiques. Les Tripolitains adorent être au courant des derniers smartphones ou tablettes.»
La polémique interdite d’antenne
Et la politique dans tout ça? Une émission bihebdomadaire propose l’interview d’une personnalité sur les grands sujets, mais c’est à peu près tout.
Radwan Gariani est d’une prudence de Sioux sur ce domaine:
«Les animateurs n’ont pas le droit de parler politique ou religion. On n’est pas là pour dire ce que l’on pense, mais pour divertir.»
C’est également pour éviter tout débordement d’auditeurs que la station ne s’est pas encore mise à la libre antenne.
Ils peuvent envoyer des SMS en cours d’émission, généralement pour proposer une chanson à diffuser. Même l’amour et ses conséquences sont des sujets délicats dans une société aux mœurs très conservatrices.
«A propos des relations amoureuses, les propos peuvent vite devenir trop crus surtout qu’il y a des jeunes qui nous écoutent. Peut-être qu’un jour on fera une émission sur ce sujet, la nuit. En attendant on en parle surtout sur le ton de l’humour, sans être sérieux», explique Nizar. En attendant…
Mathieu Galtier
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