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Hollande et l'Afrique: le changement, c'est pas maintenant
Le président français veut changer la nature des relations entre la France et l'Afrique. Mais a-t-il les moyens de ses ambitions?
«Le temps de la Françafrique est révolu: il y a la France, il y a l'Afrique, il y a le partenariat entre la France et l'Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité», avait clamé François Hollande, le 12 octobre 2012, devant l'Assemblée nationale sénégalaise.
Lançant avec une mâle assurance:
«Les émissaires, les intermédiaires et les officines trouvent désormais porte close à la présidence de la République française, comme dans les ministères.»
Soit! Il n'y aurait donc plus de «sorciers blancs» dans les antichambres de l'Elysée. Mais rien n’atteste que cette race soit en voie de totale disparition. Et de toute façon, la Françafrique ne se réduit pas aux porteurs de valises.
Elle est aussi la somme d’intérêts militaires, stratégiques, commerciaux, industriels, financiers et culturels que la France a toujours défendus bec et ongles dans ses anciennes colonies, sous De Gaulle, Mitterrand, comme sous Chirac.
En sifflant la fin de la Françafrique, François Hollande a voulu jeter un pavé dans le marigot. Mais, sur le terrain africain, la politique de la France est toujours dictée par ses intérêts. Pourrait-il en être autrement?
Etat des lieux à l'occasion de la visite du président français en Algérie.
Hollande assume totalement l'héritage de Sarkozy
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a sept mois, le chef de l’Etat français n’a fait aucun inventaire de l’héritage de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, caractérisé par des interventions brutales en Libye ou en Côte d’Ivoire.
Il n’a aucunement remis en cause la présence militaire française en Afrique, les bases permanentes à Djibouti ou au Gabon, l’éternelle opération militaire Epervier au Tchad (déclenchée en 1986), le déploiement de la force Licorne en Côte d’Ivoire…
La base militaire de Dakar a été fermée (en 2010) et le contingent français réduit à moins de cinq cent hommes. Mais c’était une décision de Sarkozy. Pour 2013, le budget de la Défense régresse très légèrement, mais celui des OPEX (Opérations extérieures) n’est pas réduit alors que la France effectue son retrait d’Afghanistan.
Il ne s’agit pas de juger ici du bien-fondé de l’engagement français sur des théâtres extérieurs, mais de constater que Hollande s’inscrit dans une totale synergie, sauf en Afghanistan, avec l’action de son prédécesseur.
Navigation à vue dans la crise malienne
Dès le 11 juin, le président français s’inquiétait «de la menace d'installation de groupes terroristes au Nord-Mali»
«Il y a, disait-il, une intervention extérieure qui déstabilise le Mali et qui installe des groupes dont la vocation est une intervention qui va bien au-delà du Mali, en Afrique et peut-être au-delà.»
Et il fixait un cap:
«Cette menace existe, c'est aux Africains de la conjurer, à eux de décider. La Cédéao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) en est à la fois l'instrument juridique et l'instrument éventuellement militaire.»
Six mois plus tard, on est revenu à la case départ. Le capitaine Sanogo a repris les commandes militaires du pays, la force de la Cédéao n’est toujours pas vraiment constituée, la résolution de l’ONU pas votée tandis que les islamistes ont étendu leur influence sur le Nord-Mali.
De plus une intervention militaire est impossible dans les trois mois à venir à cause des vents de sable qui contrarient les opérations aériennes.
Et, pour couronner le tout, la France veut désormais s’abriter, non plus derrière la seule Cédéao, jugée inopérante, mais derrière une force européenne ayant pour mission de former les soldats maliens.
Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt? Bref, sur le théâtre malien, le bateau France ressemble à une coquille de noix, ballottée par les événements.
On entend peu la voix de la France
Omniprésente sur le terrain syrien où elle est à la pointe du combat pour dénoncer les violations des droits de l’homme commises par le régime al Assad, la France est beaucoup plus discrète quand de tels faits se reproduisent en République démocratique du Congo, au Mali ou même en Côte d’Ivoire.
Dans cette ancienne vitrine de la France en Afrique, c’est l’ambassadeur américain en poste à Abidjan qui se permet de presser Ouattara, le président ivoirien, d’accélérer le mouvement pour établir un véritable état de droit, pour faire cesser les détentions arbitraires et même les tortures dénoncées par des ONG comme Amnesty International.
«Nous ne sommes pas là pour donner des leçons», avait jugé Pierre Moscovici, en visite quelques jours plus tôt dans la capitale économique ivoirienne.
Quant à Jean-Christophe Cambadélis, le chargé des relations internationales au Parti socialiste, il est aux abonnés absents. A l’automne 2010, il avait pourtant fait le voyage en Côte d’Ivoire pour soutenir Laurent Gbagbo, jusque-là «infréquentable» (selon le mot de François Hollande).
En ne faisant pas entendre sa voix de façon invariable sur tous les théâtres de conflit, la France, «patrie des droits de l’homme» risque de perdre sa crédibilité, déjà bien entamée. Bref, elle doit parler partout sur le même ton ou… se taire.
Le voyage à Kinshasa, un coup de com manqué
Lors du sommet de la Francophonie dans la capitale de la RDC (les 13 et 14 octobre 2012), François Hollande avait délivré une leçon de démocratie à Laurent-Désiré Kabila, le président congolais.
Il l’avait assortie d’un exercice de théâtre digne de grand Guignol, faisant poireauter Kabila, qui s’épongeait le front, pendant quarante-deux minutes. Contraignant son voisin Blaise Compaoré, le président burkinabé gendarme de la France en Afrique de l’Ouest, à s’asseoir prématurément ou à cesser ses applaudissements pour imiter le chef de l’Etat français.
On sait que Compaoré n’a guère apprécié cette comédie de gestes. Il n’est pas le seul. Dans de nombreux cercles africains, même les plus hostiles à la Françafrique, la démonstration de Hollande a été jugée avec sévérité et interprétée comme un «manque de respect» à la fonction d’un chef d’Etat africain.
On attend donc de voir si François Hollande va renouveler son numéro avec Abdelaziz Bouteflika, qui ne passe pas, lui non plus, pour un expert en démocratie.
Le PS n’a pas de politique africaine
Les années Mitterrand de 1981 à 1995 ont été marquées par le naufrage des illusions et des grands principes, sanctionné par l’affaire Elf ou les démêlés judiciaires de «Papamadit», Jean-Christophe, le fils de Mitterrand.
On décelait toutefois un fil conducteur dans cette politique, celui de la défense des intérêts français en Afrique. On percevait une ligne de conduite machiavélique, celle du «droit» consistant à recevoir les opposants aux dictateurs africains rue Solférino (le siège du parti socialiste français), et celle du «tordu» et de la realpolitik incarnée par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Roland Dumas.
Aujourd’hui, «les socialistes sont empêtrés dans les difficultés économiques et leur principale préoccupation est de savoir ce que les Français trouveront dans leurs assiettes. L’Afrique, c’est la dernière de leurs préoccupations», juge un membre du PS un peu désabusé.
«C’est la Corrèze avant le Zambèze». La «commission Afrique», qui se réunissait deux fois par mois, a disparu au milieu des années 2000. François Hollande, durant sa campagne électorale, s’est entouré d’un «pôle Afrique» aux allures de cour de miracles.
Elu, il a fait disparaître la cellule Afrique élyséenne, ne gardant qu’un poste de conseiller, occupé par Hélène Le Gall.
Mais, si les chefs d'Etat africains continuent à défiler à l'Elysée, une étape toujours obligée dans leurs voyages internationaux, la France est de moins en moins leur interlocuteur privilégié.
Le Gabonais Ali Bongo, qui a rencontré, il y a peu, des hommes d'affaires londoniens, a fait étape aux Etats-Unis, au Qatar et au Mexique, évite de plus en plus l'étape de Paris, le Tchadien Idriss Déby pique, au sortir de son entretien, un coup de sang sur la «confusion» régnant autour de l’intervention au Mali.
La France apparaît de plus en plus comme une puissance secondaire et beaucoup de présidents de l'ancien pré carré africain lorgnent vers des pays beaucoup moins regardants sur les concepts de démocratie et de défense des droits de l'homme, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil.
II ne suffit donc de proclamer la fin de la France-Afrique, d'admonester publiquement tel ou tel «dictateur». Mais d'être capable d'imposer une autre politique en Afrique. Et sur ce terrain là, il n'est pas sûr que François Hollande ait les moyens de ses ambitions.
Philippe Duval
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