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Jean-Marc Ayrault à Rabat, Maroc, le 13 décembre 2012. Photo AFP/ Fadel Senna
Jean-Marc Ayrault à Rabat, Maroc, le 13 décembre 2012. Photo AFP/ Fadel Senna

Le Maroc reste le meilleur allié de la France au Maghreb

Alors que le président François Hollande réserve sa première visite au Maghreb à l’Algérie, le Premier ministre français Jean-Marc Ayrault a été dépêché à Rabat en VRP de la République.

Un petit tour en tram et puis s’en va. Voilà en résumé la visite-éclair que Jean-Marc Ayrault vient d’effectuer au royaume de Mohammed VI à la mi-décembre.

Une escapade préparée depuis de longs mois par un incessant ballet diplomatique entre Rabat et Paris.

Il aura fallu beaucoup de doigté à la France pour ne pas froisser son meilleur allié nord-africain et pour cause, c’est pour Alger que François Hollande réserve sa première visite officielle au Maghreb, les 19 et 20 décembre.

Une histoire de fidélité

On se rappelle qu’avec Nicolas Sarkozy les choses avaient d’abord mal tourné. Le 11 juillet 2007, l’ex-président français devait accomplir une visite de travail au Maroc, qui ne devait durer que quelques heures.

Mais le Palais n’avait pas apprécié que, pour son premier déplacement de chef d’Etat au Maghreb, Nicolas Sarkozy ait choisi de débuter son périple par Alger, puis Tunis, avant de rallier enfin Oujda, la ville marocaine frontalière de l’Algérie, au moment où Mohammed VI y était en tournée.

Piqué au vif, le Palais avait tout bonnement reporté la rencontre. Interrogé au sujet de ce camouflet, David Martinon, à l’époque porte-parole de l’Elysée, avait bredouillé pour expliquer ce report:

«Il faut poser la question aux autorités marocaines. Je ne peux pas être le porte-parole du roi.»

«On ne traite pas la fidélité de cette manière», avait déclaré au Monde un habitué du sérail, exprimant ainsi l’irritation royale.

La gauche désormais au pouvoir a donc pris soin de ne pas commettre d’impair surtout qu’une traditionnelle méfiance demeure de mise entre le Parti socialiste et le Makhzen, vieilles séquelles de la Mitterrandie et des années Hassan II.

François Hollande, offensif par ailleurs sur l’Afrique, a bien compris la leçon. Avec Mohammed VI, la refondation se fera tout en rondeur, acceptant ce faisant «l’exception marocaine», brandie comme un slogan publicitaire des deux côtés de la Mediterrannée.    

La France détrônée par l’Espagne

Le Premier ministre français s’est envolé pour le Maroc accompagné d’une délégation de huit ministres et d’une centaine d’hommes d’affaires, pour «réaffirmer les relations historiques» avec Rabat.

Au menu, la signature de conventions de partenariat d’un montant de 300 millions d’euros. Du pain béni pour un royaume dont les réserves de devises fondent comme neige au soleil à cause de la crise. Et une sorte de dot pour une République en perte d’influence sur un pays longtemps considéré comme un territoire conquis.

La France, premier partenaire économique du Maroc, c’est aujourd’hui de l’histoire ancienne. Cette année, l’Hexagone a été doublé par l’Espagne, devenu en 2012 le premier fournisseur du royaume chérifien.

Le Maroc a acheté du voisin ibérique pour près de 4 milliards d’euros de marchandises, reléguant ainsi la France au second rang. Une première, qui a «beaucoup gêné nos partenaires français», confie un officiel marocain. 

Alors dans ces conditions, côté français, on met les bouchées doubles pour reconquérir l’ancien protectorat, quitte à mettre en sourdine les cocorico d’Arnaud Montebourg qui, il y a encore quelques mois encore, se montrait décidé à mettre un terme aux délocalisations d’entreprises françaises, dont le Maroc est devenu la destination fétiche.

Coup de lifting

«Cette rencontre sera l’occasion pour relifter les relations économiques entre les deux pays.»

Relifter. Le mot est de l’ambassadeur français à Rabat, Charles Fries. Et il veut tout dire. Pas question de laisser le champ libre aux entreprises ibériques ni à celles du Golfe, la France doit rester le premier partenaire économique du Maroc.

C’est une question d’influence, de géostratégie. Plus important encore, c’est du business qu’il s’agit. Premier client de la France, le Maroc est aussi la première destination des investissements des français à l’étranger.

36 entreprises du CAC 40 sont déjà présentes au Maroc, et on compte aujourd’hui plus de 1.000 entreprises françaises qui opèrent sur le sol marocain, employant au passage plus de 20.000 personnes, si l’on en croit le patron de l’agence marocaine des investissements Ahmed Fassi- Fihri.

De Vivendi, à Total, en passant par Veolia, Accor, EDF, AXA ou encore BNP Paribas, les géants français détiennent des positions stratégiques dans des secteurs clés de l’économie marocaine: les télécoms, la banque, l’assurance, le tourisme, la distribution, l’énergie…

Bref, il n’y pas un secteur sensible où il n’y pas un Français. Une donne qui n’est pas prête de changer de sitôt. Pour preuve, lorsque le roi a voulu se désengager de ses positions dans le très sensible secteur agroalimentaire, c’est à des firmes françaises qu’il a passé le relais : Danone pour la Centrale Laitière et Sofiprotéol pour Lesieur Cristal. Car pour la monarchie alaouite, la France, c’est un peu le Maroc.

Des délocalisations «malvenues»

Les chiffres le montrent en tout cas à souhait. L’année dernière par exemple, le flux d’investissements directs français (IDE) au Maroc s’est élevé à plus de 8 milliards de dirhams, (1 euro équivaut à 11 dirhams) soit un tiers du total des IDE captés en 2011.

En gros, le stock d’IDE français au Maroc avoisinerait aujourd’hui la moitié du total des IDE reçus par le Royaume. Le cas le plus emblématique reste celui de l’installation début 2012 du constructeur Renault à Tanger.

Un investissement qui place désormais le Maroc sur la carte mondiale de l’industrie automobile, mais qui n’a pas été trop apprécié par certains milieux politiques en France, notamment à gauche, qui y voient une «délocalisation mal venue en ces temps de crise».

La France reste ainsi le premier investisseur en territoire chérifien, mais aussi son premier client puisqu’elle absorbe à elle seule plus de 20% des exportations marocaines au reste du monde pour un montant de 3,2 milliards d’euros.

La France, c’est aussi la première source d’entrée de devises au pays, la diaspora marocaine de la république envoie chaque année plus de 2 milliards d’euros au bled, soit plus de 40% du total des transferts des Marocains résidant à l’étranger.

La France, c’est aussi le premier émetteur de touristes en direction du «plus beau pays du monde». Des visiteurs qui ont dépensé en 2011 plus de 3,3 milliards d’euros, soit 36% des recettes touristiques du pays.

Last but not least, Paris est aujourd’hui le premier bailleur de fond du Maroc, avec une part de 42,5% dans l’ensemble de l’aide publique en provenance des pays de l’OCDE. Une aide qui arrose des secteurs stratégiques pour le royaume comme les énergies renouvelables, l’eau, l’éducation ou encore les infrastructures… mais dont la France se sert aussi comme argument pour emporter des marchés au Maroc, comme ce fut le cas avec le fameux TGV arraché par Sarkozy en guise de compensation de la perte du marché des avions Rafale au profit des Américains.

Un projet qui divise au Maroc, et qui a même contrarié les Allemands, ces vieux rivaux de la France.

Berlin n’a pas avalé en effet que le contrat se fasse sans appel d’offres au profit d’Alstom, alors que Siemens était aussi sur les rangs. Les Allemands ne manquent d’ailleurs pas une occasion pour rappeler que «le Maroc est la chasse gardée du CAC 40 dans des conditions souvent opaques et contradictoires avec les exigences de l’Union européenne».

Jalal Ibrahimi, de Rabat

 

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