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Algérie: la visite de Hollande n'emballe pas les internautes
Et si, au fond, la visite officielle en Algérie du président français, François Hollande, était un non-évènement?
Si les médias des deux pays commentent et spéculent sur les tenants et aboutissants du voyage de François Hollande, en Algérie, les 19 et 20 décembre, les internautes algériens, d’habitude si prolixes et ayant un avis sur tout, n’accordent pour leur part que peu d’importance au déplacement du représentant de l’ancien colonisateur et du premier partenaire commercial de l’Algérie, la France.
En effet, la frénésie des préparatifs à la hâte qui s’est emparée du gouvernement algérien pour recevoir le chef de l'Etat français, contraste avec le peu d’enthousiasme observé chez les Algériens pour cet évènement, qui n’excite guère l’encéphalogramme du Web dz.
Certes, des articles de presse sont partagés sur les réseaux sociaux, notamment sur twitter, mais les commentaires sont rares. Même chez les journalistes algériens.
Un petit tour par la Toile algérienne confirme ce désintérêt.
Monsieur propre et Mister business
Sur Youtube, la communauté algérienne a zappé Hollande. Seul, Laid, un quinquagénaire a ouvert sa caméra pour s’adresser directement au président français et lui exprimer son désamour pour la France officielle, qui a «privilégié le Maroc à l’Algérie pour l’installation de son usine Renault».
C’est la preuve entre autres que «la France n’a jamais aimé l’Algérie et qu’elle n’aimera jamais l’Algérie», soutient Laid.
Même Hchicha, le plus ancien vidéoblogueur algérien et de loin le plus prolifique s’est abstenu de s’exprimer sur cette visite.
Contacté par SlateAfrique, il a expliqué les raisons de son silence:
«La visite de François Hollande entre dans le cadre d'un échange entre dirigeants, et dans lequel les aspirations des peuples ne sont pas prises en compte. Ce sont les intérêts économiques des industriels, d'un côté, et de la mafia locale algérienne de l'autre, qui sont la priorité des autorités qui se rendent visite», estime-t-il.
«Les seules visites et échanges susceptibles de m'intéresser sont celles relatives aux sociétés civiles algériennes et françaises», précise-t-il encore.
Avec 4 millions d’Algériens sur Facebook, on aurait pu s’attendre à une profusion de remarques et autres «analyses» sur la visite de François Hollande. Eh ben, non! Là aussi, il a fallu aller à la pêche virtuelle des «posts» en posant la question suivante:
«Que représente pour vous la visite de François Hollande en Algérie?»
Deux sujets reviennent dans la majorité des réponses : un voyage de business, et Alger qui se fait une beauté pour recevoir le Français François.
Les noces d’Alger
«J’attends la réfection de mon quartier», souhaite Amine, un ex-journaliste.
«Les routes sont rénovées, c’est déjà ça de gagné», s’enthousiasme Meriem, une germano-algérienne qui vit entre Alger et Marseille.
«Beaucoup d'encombrements à Alger. Encore plus que d'habitude. C'est le moment idéal de rester chez soi», ironise Mohamed, un journaliste au Quotidien d’Oran.
Devenue invivable pour ses habitants, «Alger la Blanche» traîne à la 179e place sur 222 villes à travers le monde, dans le classement Mecer 2012 sur la qualité de vie dans les grandes métropoles.
«Telle une mariée qu’on pare et maquille pour la noce, Alger se veut d’être attrayante pour le regard du président français, François Hollande. Une grande opération de ravalement des façades est engagée au pied levé. Un lifting qui bénéficie également aux devantures depuis longtemps décrépies des vieilles bâtisses qui donnent sur la route moutonnière», écrit un journaliste d’un quotidien algérien. Merci Hollande, pourraient dire les Algérois!
«La visite de Hollande est un gommage des égarements de la droite sarkozyste, en plus d’un business à coup de milliards», résume Hatem, un jeune entrepreneur algérien, qui anime un groupe de réflexion très sélectif sur Facebook, baptisé sobrement mais ambitieusement «3%».
Son avis est partagé par beaucoup d’abonnés du groupe:
«Hollande vient faire son marché en Algérie», lancer des «investissements qui vont permettre à certains de bien se sucrer». C’est dit, pardi!
La priorité aux affaires
Dans une France touchée par la crise, la visite de François Hollande en Algérie est abordée par les médias de l’Hexagone de manière plutôt raisonnable: quelques débats télévisés sur le passé colonial avec Benjamin Stora comme caution historique, ou de l’évocation nostalgique avec le chanteur Enrico Macias, une remise sur le tapis de l’affaire des moines de Tibhirine, mais pas de surenchères politiques, ni de chantage droit-de-l’hommiste.
C’est plutôt le volet économique qui prime sur tout le reste, et éventuellement la situation sécuritaire avec le dossier malien. Il ne faut surtout pas fâcher Alger: Hollande, très critiqué dans ce pays, doit marquer des points avec ce voyage et ne pas rentrer bredouille.
Dès lors, il ne faut pas s’attendre à ce que cette visite révolutionne les relations entre les deux pays, mais Hollande devrait au minimum réussir à marquer une rupture avec la méthode jugée brutale de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, en abandonnant le discours arrogant, et se montrer plutôt conciliant.
Il est clair que cette fois le rapport de force penche du côté algérien, et la France en est consciente.
En résumé, ce voyage concerne davantage deux gouvernements que deux peuples. C’est un débat franco-français, entre gauche et droite, dans lequel le pouvoir algérien a son mot à dire.
A Oran, les algériens avaient réclamé «des visas» à Chirac; à Constantine Sarkozy avait été taxé de «raciste»; à Tlemcen, la ville de Bouteflika et de ses ministres, Hollande, qui veut marquer sa présidence en France du sceau de la normalité, sera reçu «normalement» par la rue, comme un représentant de commerce d’un pays étranger… l’Algérie en reçoit beaucoup depuis qu’elle est redevenue riche et utile.
Fayçal Anseur
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