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Journalistes africains en danger: l'exemple burkinabè
Le Burkina vient de commémorer le 14e anniversaire du meurtre du journaliste Norbert Zongo. Un assassinat impuni, comme tant d’autres sur le continent.
Jeudi 13 décembre 2012. Des Burkinabè se recueillent et se révoltent à l’Atelier Théâtre burkinabè, dans le quartier Gounghin de Ougagadougou.
Quatorzième hommage annuel au journaliste assassiné Norbert Zongo. Un grapheur esquisse un portrait géant du fondateur de l’hebdomadaire L’Indépendant.
Un documentariste projette des vidéos d’étudiants contestataires réprimés après le décès de l’homme de presse. Des animateurs lisent des articles de Zongo. Des éditorialistes croisent le fer. Des militants réagissent. Des musiciens pétrissent ces émotions militantes au son d’une sobre kora.
Au bout de trois heures, l’ambiance devient électrique: le rappeur Smockey métamorphose une assemblée méditative. Il s’en improvise un chœur sur l’air de «Dis-moi qu’ils vont payer pour ce crime»…
L’assassinat de Norbert Zongo, l’épine dans le pied de Compaoré
Dimanche 13 décembre 1998. Après avoir bouclé une énième édition de son hebdomadaire consacrée à l’assassinat de David Ouédraogo, chauffeur du frère du président Compaoré, Norbert Zongo roule sur la piste qui mène à Sapouy. Il est abattu, ainsi que ses trois compagnons de route.
Le véhicule et les corps sont calcinés, ultime affront dans un pays où l’intégrité du corps est la moindre condition d’un deuil apaisé. Secousse tellurique au «pays des hommes intègres»: les pouvoirs publics, dont les médias annoncent tout d’abord un «accident», ne peuvent échapper à une Commission d’enquête indépendante.
Suivra un rapport désignant six suspects sérieux, tous membres de la garde présidentielle. Puis viendra le temps de noyer le poisson avec des succédanés de réconciliation: Collège de sages pour abuser du culte de l’ancien, gouvernement «d’union nationale» pour partager la «soupe » ou institution d’une «Journée de pardon», inconvenant pardon à des crimes non avoués. La mère de Norbert Zongo ne sera pas dupe.
Les commanditaires du quadruple meurtre, convaincus par des années d’état d’exception qu’on pouvait faire disparaître un impertinent sans le moindre remous, n’avaient pas anticipé le retentissement de ce crime.
Un crime qui advenait sept ans après le rétablissement de la république; un meurtre perpétré, cette fois, en dehors du sérail politique. La goutte d’eau qui faisait déborder le vase où le poisson ne se noyait pas…
La réputation du régime Compaoré à l’étranger (la seule qui semble le préoccuper) se délite. L’association Reporters Sans Frontières ne connaissait même pas l’existence de Norbert Zongo avant sa mort.
Quelques semaines plus tard, c’est un palais omnisport de Paris Bercy bondé qui reprend en chœur le refrain d’Alpha Blondy: «Au clair de la lune, mon ami Zongo refusa de bâillonner sa plume au Burkina Faso».
L’Affaire David Ouédraogo sera jugée, plusieurs membres de la garde présidentielle condamnés. Le responsable de l’escouade sera inculpé dans le dossier Norbert Zongo, mais aucun procès ne se tiendra… L’inculpé décédera.
Comment faire entendre la vérité ?
A Gounghin, ce 13 décembre 2012, la chorale de bric et de broc fait trembler les gradins, mais les rangs sont clairsemés. Plus clairsemés que l’année précédente. Et plus encore que l’antépénultième.
Est-ce le découragement (avoué par certains) qui patine une mobilisation en mal d’imagination? Est-ce parce que le 11 décembre, la fête nationale, organisée cette année à Koudougou, la ville de naissance de Zongo, a donné lieu à un concours d’affiches à l’avantage de ceux qui souhaitent étouffer la recherche de la vérité?
Est-ce parce que le cœur de la contestation se fissure, le dépôt de gerbe du Collectif des Organisations Démocratiques de masse et des Partis politiques semblant tourner le dos à la soirée du Centre de presse Norbert Zongo et des artistes? Une mobilisation asthmatique s’essoufflerait-elle entre ancienne génération époumonée et jeunesse plus égoïste?
14 ans après le drame, le débat s’ouvre comme une plaie dans la plaie. Pour les uns, il faut continuer de tarauder le pouvoir (le même qu’en 1998) pour qu’un procès ait enfin lieu. Pour d’autres, il faut faire le deuil d’une procédure judiciaire à laquelle ils ne croient plus et déplacer l’objectif vers l’alternance démocratique.
Il s’agit de sanctionner par les urnes ou par un printemps burkinabè ce qui ne peut l’être par les tribunaux. C’est que l’alternance semble plus crédible, quelques jours après l’annonce des résultats des élections du 2 décembre. Une alternance toutefois incertaine, si l’on considère que François Compaoré (la cible favorite des articles de Norbert Zongo) vient de faire son entrée formelle en politique avec une toute fraîche écharpe de député.
«On est là, même à deux», lançait l’un des rares manifestants contre l’impunité, ce 13 décembre à Koudougou. Des manifestants qui ressemblent à cette lampe-tempête installée dans la cour du Centre de presse Norbert Zongo, lampe qui ne sera éteinte que lorsque toute la lumière aura été faite sur le meurtre du journaliste.
Zongo, symbole du journalisme africain en danger
Sur le continent africain, Norbert Zongo est devenu un symbole, la figure emblématique d’autres hommes de presse sacrifiés. Si l’année 2011 semblait avoir relativement épargné l’Afrique (8 journalistes sur 106 assassinés dans le monde, selon l’ONG Presse Emblème Campagne), la grande faucheuse a rattrapé le temps perdu en 2012.
En janvier, c’est le Nigerian Enenche Godwin Akogwu qui est tué. En septembre, c’est le tour de son confrère tanzanien Daudi Mwangosi. Il y a une dizaine de jours, le 5 décembre 2012, le Sud-soudanais Diing Chan Awuol est abattu devant son domicile. En Somalie, le meurtre de journalistes prend des rythmes industriels.
Depuis le début de l’année, ce sont 18 journalistes qui ont payé de leur vie leur sacerdoce. Un véritable sacerdoce si l’on considère les conditions ascétiques dans lesquelles ils travaillent dans bon nombre de pays du continent. Un véritable sacerdoce si l’on examine les pressions multiformes qu’ils subissent.
Si une presse censément indépendante est un atout pour un régime comme celui de Blaise Compaoré, les journalistes sont parfois piégés sous le vernis de la façade républicaine. La démocratie ne se décrète par la simple adoption d’une constitution [ ].
Norbert Zongo en est la preuve. Une raison de plus, s’il en était besoin, de ne pas l’oublier.
Damien Glez
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