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Le capitaine Sanogo, meilleur allié des islamistes
Le putsch déguisé du capitaine Sanogo éloigne encore un peu plus la perspective d’une intervention militaire africaine pour libérer le Nord-Mali des islamistes. Et souligne la décomposition du Sud-Mali.
Mise à jour du 17 décembre 2012: Le président sénégalais Macky Sall a appelé le 16 décembre à Conakry les autorités maliennes à se mettre "au diapason" de l'Union africaine (UA) et de l'Afrique de l'Ouest pour faciliter l'envoi d'une force militaire internationale destinée à libérer le nord du Mali des insurgés islamistes.
"Nous regrettons les incidents qui viennent de se passer à Bamako", a déclaré le président sénégalais, en visite officielle en Guinée, en référence à l'éviction en début de semaine de l'ex-Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, remplacé depuis par Diango Cissoko.
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Qui est à Bamako le meilleur allié des bandes islamistes qui terrorisent le Nord-Mali? Ne cherchez plus, c’est le capitaine Sanogo.
Cet obscur officier de l’armée malienne vient encore de faire parler de lui, inscrivant une nouvelle page tragico-comique de l’histoire contemporaine d’un pays qui fut, un temps, considéré comme un exemple de démocratie en Afrique francophone.
Amadou Haya Sanogo n’a jamais eu peur du ridicule. En mars dernier, il a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT)… juste avant que celui-ci ne quitte le pouvoir à la faveur d’une élection présidentielle à laquelle il ne se présentait pas.
ATT avait beaucoup de défauts, notamment celui d'avoir laissé tout le nord de son pays en jachère, laissant les combattants islamistes et les trafiquants en tout genre se substituer à un appareil étatique défaillant et, quelques fois, complice.
Mais ATT avait été démocratiquement élu et bénéficiait d’une bonne image au sein de la communauté internationale, même si son étoile a sérieusement pâli vers la fin. Et le capitaine Sanogo a rapidement dû se mettre en retrait du pouvoir, du moins officiellement, sous la pression de l’Afrique de l’Ouest, de la France et de l’ONU.
La pire crise de l'histoire du Mali
Mais avant de regagner sa caserne, le capitaine Sanogo a eu le temps de plonger le Mali dans la pire crise de son histoire contemporaine.
Son putsch du 22 mars 2012 a immédiatement déclenché une offensive générale des combattants islamistes et des rebelles touareg.
Le résultat le plus tangible du putsch de Sanogo fut la partition du pays, une première depuis l’indépendance en 1960.
Rarement dans l’histoire africaine des coups d’Etat militaires, qui en compte pourtant plusieurs dizaines en un demi-siècle, un coup de force a abouti à un résultat aussi piteux, aussi désolant.
Et, aujourd’hui, en poussant à la démission le Premier ministre Cheick Modibo Diarra, le capitaine putschiste rend de nouveau un sacré service à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et aux autres groupuscules islamistes.
Les deux parties sont en effet opposées à toute intervention étrangère. Et les préparatifs pour l’envoi d’une force africaine de 3.300 hommes s’accélérant, il était urgent de faire quelque chose, de rebattre les cartes, de freiner ce processus.
Le «De Gaulle» de Kati
Les islamistes en rêvaient, le «De Gaulle» de Kati l’a fait. Les «fous de Dieu» n’en demandaient pas tant.
Est-ce vraiment une coïncidence si le putsch déguisé du capitaine Sanogo est intervenu quelques heures après que l’Union européenne a mis sur les rails sa mission de formation de l’armée malienne?
Après de longues discussions, négociations et tergiversations, Bruxelles avait enfin donné son feu vert lundi pour déployer 400 militaires européens, dont 250 formateurs, à partir de début 2013.
Objectif: former quatre bataillons d’un total de 2.600 hommes près de Ségou (240 km de Bamako), avant de les envoyer combattre des islamistes bien armés, déterminés, connaissant très bien le terrain et très mobiles.
L’ONU devait également donner, avant fin décembre, son aval, avec de nombreuses réserves, pour l’envoi de la force africaine.
La communauté internationale avançait ses pions pour une intervention armée, même si la date avancée (septembre 2013) pouvait apparaître comme trop lointaine.
Mais que faire aujourd’hui? Bamako n’a plus de tête politique. Le capitaine Sanogo, dont les hommes sont accusés de faire régner la terreur dans la capitale, apparaît comme le véritable homme fort du Sud-Mali.
Le président et le nouveau Premier ministre de transition, Diango Cissoko, sont soumis à son bon vouloir. Ils n’ont pas le choix.
Déliquescence avancée
Une situation qui souligne l’état de déliquescence avancée, tant du point de vue politique que militaire, de la moitié sud du pays.
En écartant Modibo Diarra qui avait, selon lui, pris un peu trop goût au pouvoir et nourrissait de vastes ambitions politiques, le capitaine putschiste a fait place nette: le seul homme fort à Bamako, c’est lui.
Pour la communauté internationale, c’est une catastrophe. Comment s’appuyer sur une junte aussi peu soucieuse de démocratie et des droits de l’Homme pour mener la guerre contre les islamistes?
Et si la force africaine devait s’appuyer sur les putschistes, il n’est pas exclu que la junte soit à son tour renversée par des éléments de l’armée hostile à une intervention.
Bref, la plus grande confusion règne. Et la visibilité est aussi faible qu’en pleine tempête de sable au plus fort de l’harmattan (vent chaud et sec qui souffle sur l'Afrique de l'Ouest).
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, a fort bien résumé, le 11 décembre, le sentiment de la communauté internationale.
Selon lui, «la situation au Mali est très complexe» et «c’est un peu tôt pour y voir clair».
Il se pourrait fort que Paris y voit de moins en moins clair dans les semaines à venir. L’Algérie devrait se montrer plus que réticente à une intervention armée, lors de la visite à Alger du président français, François Hollande, les 19 et 20 décembre. Et Paris sait que sans le feu vert d’Alger, il est plus que hasardeux d’intervenir au Nord-Mali.
Fiasco français?
Le Burkina Faso, pourtant un allié fidèle de la France dans la région, s’est aligné sur la position algérienne, privilégiant la négociation. La Mauritanie et le Tchad, deux alliés de Paris, sont de moins en moins convaincus d’une intervention armée.
Et, ultime revers pour le président Hollande, c’est maintenant au tour de l’allié américain de douter du bien-fondé de l’option militaire, pourtant défendue bec et ongles par Paris.
Que manque-t-il alors pour que le volontarisme de la France au Nord-Mali vire au fiasco diplomatique? Que le Conseil de sécurité de l’ONU, refroidi par le putsch de Sanogo à Bamako, refuse de donner son aval à une force africaine.
Dans ce cas-là, les islamistes auront gagné la bataille. Tout comme leur plus fidèle allié, le capitaine Sanogo.
Adrien Hart
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